© AFP

Chocolat, gaz et affection: comment la Russie met la pression sur l’Ukraine

Le Vif

Les Ukrainiens manifestent en masse à Kiev et demandent la démission de leur président. Viktor Ianoukovitch est critiqué pour avoir cédé aux pressions de Moscou face à l’Union Européenne.

L’occupation de la place de l’Indépendance, à Kiev, en Ukraine dure depuis une dizaine de jours. Des opposants au président Viktor Ianoukovitch battent le pavé pour protester notamment contre le rejet d’un partenariat économique avec l’Union européenne. « Nous sommes conscients des pressions extérieures que subit l’Ukraine », se désolent les dirigeants européens dans une déclaration commune. Herman Van Rompuy et José Manuel Barroso accusent la Russie, responsable selon eux de l’échec des négociations entre l’Ukraine et l’Union européenne. Mais comment Moscou arrive-t-elle à exercer une telle pression sur Kiev?

1. En empêchant aux chocolats ukrainiens de s’exporter

En septembre, le Premier ministre Dmitri Medvedev a assené que si l’Ukraine signait avec l’UE, cela « mettra fin au régime particulier, c’est-à-dire à un régime de partenariat, qui était appliqué jusqu’ici [aux relations commerciales] avec l’Ukraine, a-t-il expliqué, selon l’agence officielle ITAR-TASS. Nous allons continuer à être amis, à faire du commerce, mais cela sera un commerce […] sans aucun privilège, peut-être même au contraire avec des restrictions. » Or, 30% des échanges commerciaux de l’Ukraine se font avec son voisin russe, qui nie pourtant « toute guerre commerciale ».

En août, la Russie lançait la guerre du chocolat. D’après Le Monde, l’agence de sécurité alimentaire russe reprochait aux confiseries Roshen de contenir du benzopyrène, un hydrocarbure cancérigène, rappelle France Inter. Quel rapport, alors, avec le rapprochement UE-Ukraine? « Tout le monde en Russie, en Occident et en Ukraine comprend que pour les chocolats ukrainiens, ça n’a rien à voir avec la sécurité alimentaire », affirmait Petro Poroshenko, l’oligarque propriétaire de la marque. Le riche Ukrainien détient également une chaîne de télévision et est également connu pour ses positions pro-européennes. Le blocus confisier a duré quelques semaines.

En parallèle, Moscou a également durci ses règles douanières. Sans prévenir, d’après l’Ukraine. D’après le Kremlin, cette modification était prévue de longue date et les exportateurs ukrainiens ne s’étaient simplement pas préparés. « Impossible de savoir où se situe la vérité », explique Jean Radvanyi, professeur à l’Institut de langues orientales et auteur de Retour d’une autre Russie (Editions Bord de l’eau en 2013).

Dans cette guerre commerciale, « les Russes se défendent. D’après eux, si le marché ukrainien s’ouvre largement aux produits européens, la Russie s’en trouvera également inondée. Moscou tient à pouvoir choisir les produits qui entrent sur son territoire et cet argument commercial est tout à fait valable », affirme le chercheur. D’après Russie d’aujourd’hui, « il ne s’agit pas de la restauration de l’URSS, mais de simple défense de ses propres intérêts, aussi bien économiques que politiques ».

2. En fermant les vannes du gaz « La relation énergétique est un moyen de pression essentiel pour la Russie », explique Céline Bayou, membre de l’Observatoire des États post-soviétiques à l’Inalco. La moitié du gaz consommé en Ukraine provient de Russie et Kiev sait qu’en cas de désaccord, Moscou est prêt à aller jusqu’au bout, à savoir fermer les vannes, comme en 2009.

Une fois de plus, en octobre 2013, le patron de Gazprom, Alexeï Miller, a accusé Naftogaz d’être un mauvais payeur, rappelle Le Monde. La société nationale ukrainienne doit près de 650 millions d’euros au géant russe. D’après Jean Radvanyi, les dettes de l’Ukraine sont avérées et l’Ukraine a plusieurs fois détourné du gaz prévu pour sa consommation pour faire des profits en le revendant plus cher à l’Europe.

Le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov, a tenu à préciser que « le sujet des dettes gazières n’est pas politique et n’est en aucun cas lié à un accord d’association avec l’UE. » Une position que ne semble pas partager Sergueï Glaziev, un conseiller de Vladimir Poutine, qui a refusé le moindre investissement commun dans le transport de gaz si l’UE signait avec l’Ukraine.

Viktor Ianoukovitch essaye d’assurer l’indépendance de son pays, malgré tout. Comme le rappelle Sébastien Gobert dans un article publié dans la Documentation française, l’Ukraine s’est lancée dans l’exploitation des gaz de schiste. Mais en attendant, Moscou agite la menace de deux nouveaux pipelines, qui évitent le territoire ukrainien et Kiev doit s’en remettre au Kremlin.

3. En faisant balancer le coeur des Ukrainiens

« Les Ukrainiens et les Russes ont un fond culturel commun, une langue et une histoire communes. De nombreux mariages mixtes ont lieu, de nombreux Russes habitent en Ukraine et vice versa », explique Jean Radvanyi. Le « soft power » russe et l’influence culturelle du grand voisin pèsent dans la balance. Vladimir Poutine s’est lui-même plusieurs fois impliqué dans les campagnes électorales ukrainiennes. En 2002, il soutenait ouvertement Viktor Ianoukovitch, allant jusqu’à faire des apparitions à la télévision ukrainienne en sa faveur. Mais son appui n’a pas forcément assuré le succès au candidat, puisque Ianoukovitch avait perdu les présidentielles. L’attachement à la Russie ne fait pas tout.

Finalement élu en 2010, Viktor Ianoukovitch remettra son siège de président en jeu en 2015. Nul ne sait comment aura évolué la situation, mais aujourd’hui, le chantage affectif ne fonctionne plus aussi bien. En courbant systématiquement l’échine face à la Russie, Ianoukovitch a attisé « le mécontentement et les critiques des Ukrainiens », ajoute le chercheur.

« La majorité des Ukrainiens sont pour un rapprochement avec l’Union européenne », estime Jean Radvanyi. « Mais une bonne partie d’entre eux pensent aussi à la relation économique avec la Russie. Le pays est très profondément divisé et il est dommage qu’on joue à les obliger à un choix irrationnel », se désole-t-il.

Pauline Hofmann

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire