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Chine: Xi Jinping, l’héritier

Sans surprise, le 18ème congrès du Parti communiste chinois a consacré mercredi le successeur de Hu Jintao, Xi Jinping, à la tête de l’instance politique et du pays. Fils d’un ancien compagnon de route de Mao, le président de la deuxième puissance économique mondiale est, à bien des égards, une personnalité énigmatique. Portrait.

Tandis que s’ouvre à Pékin le congrès du Parti communiste, qui renouvelle ses instances dirigeantes,LeVif.be est parti sur les traces du nouveau maître du pays.

De ses sept années passées à Liangjiahe, un village déshérité où il fut envoyé durant la Révolution culturelle, en 1969, Xi Jinping a retenu que les épreuves affinent l’homme: « Une épée s’affûte sur la meule, comme le caractère dans l’adversité », a écrit l’homme appelé à devenir, dans les prochains jours, le nouveau maître de la Chine. Aujourd’hui, dans ce bourg reculé du centre du pays, ceux qui l’ont connu se souviennent d’un garçon qui, lorsqu’il n’était pas accaparé par les travaux manuels, consacrait le plus clair de son temps à la lecture, dans l’une de ces maisons creusées dans la roche, typiques du nord de la province du Shaanxi. « Il était difficile de lier connaissance avec lui », raconte un vieil homme sans ralentir le pas, car on lui a ordonné de ne pas parler aux étrangers. « Il restait à la maison et lisait beaucoup », se souvient une dame, âgée de 56 ans. Tandis qu’elle évoque ses souvenirs du jeune Xi, une bande de petites frappes pénètre soudain dans la cour attenante et interroge la malheureuse, avant de menacer l’envoyé spécial du Vif/ L’Express de l’écraser en voiture s’il s’aventure plus loin.

Pour devenir président, ne surtout pas avoir le moindre charisme

Manifestement, il est interdit d’en apprendre davantage sur Xi Jinping, 59 ans, qui prendra la tête du Parti communiste chinois (PCC) après l’ouverture, le 8 novembre, de son 18e Congrès. Promis à la présidence du pays, en mars 2013, il succédera à Hu Jintao et sera alors, en d’autres termes, l’un des hommes les plus puissants de la planète. Pour autant, son « programme » demeure largement inconnu. Et cette énigme est, à y regarder de plus près, l’une des clefs de son triomphe: dans ce pays, gravir les échelons du pouvoir suppose de se faire discret, de ne pas manifester ouvertement sa personnalité et de faire l’inverse, en somme, d’un présidentiable à l’occidentale.
« Pour devenir président de la Chine, il faut répondre à trois exigences: être passé avec brio par les écoles du Parti, avoir dirigé une grande ville ou une province et avoir su gérer une crise, mais il faut surtout réussir à faire toutes ces choses sans le moindre charisme », s’amuse Robert Theleen, président d’un fonds d’investissement et vice-président de la chambre de commerce américaine à Shanghai, résidant en Chine depuis trente-deux ans.

Beaucoup prédisent une diplomatie plus vindicative

Que sait-on, alors, de Xi Jinping ? Pour dessiner les contours de ce qui pourrait être sa future politique étrangère, les analystes lisent et relisent quelques-unes de ses remarques, souvent plates, ainsi qu’une envolée, en février 2009, lors d’une visite au Mexique: « Certains étrangers au ventre plein n’ont rien de mieux à faire que nous pointer du doigt. D’un, la Chine n’exporte pas la Révolution ; de deux, elle n’exporte pas la famine et la pauvreté ; de trois, elle ne vient pas vous embêter. Qu’y a-t-il à ajouter? » Beaucoup d’observateurs de la Chine prédisent une diplomatie plus vindicative, d’autant que le futur chef de l’Etat compte de nombreux soutiens parmi les personnalités de l’armée, telles que le général Liu Yuan, fils de l’ex-président (1959-1968) Liu Shaoqi. La poussée de fièvre antijaponaise, il y a quelques semaines, autour des îles Diaoyu, annonce sans doute d’autres manifestations semblables.

L’héritage familial de Xi Jinping offre peut-être quelques clefs quant à ses choix en politique intérieure. Car son père, mort en 2002, a longtemps été bien plus connu que lui: Xi Zhongxun est considéré comme l’un des piliers de la Révolution pour s’être joint à Mao Zedong et avoir préparé l’arrivée de la Longue Marche à Yan’an, une ville située à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest du lieu où son fils passera ses sept années à la campagne. Sur place, dans ce haut lieu de pèlerinage du « tourisme rouge », où des ballets d’autocars déversent chaque jour des milliers de visiteurs, élevés dans le culte de l’épopée maoïste, la mémoire de Xi Zhongxun est toujours honorée. Du fils, en revanche, les maoïstes les plus fervents ne savent pas grand-chose. Bei Dou, un homme de 70 ans, a bien entendu dire qu’il deviendra président sous peu, et il connaît les succès de son épouse, Peng Liyuan, chanteuse de l’armée, célèbre pour ses apparitions dans les galas et shows télévisés. Ce n’est pas énorme, mais cela suffit déjà, aux yeux du retraité, pour rendre Xi Jinping plus humain que le glacial Hu Jintao: « Les gens ordinaires n’ont pas trop d’informations », explique-t-il. Ses attentes? « Il apportera des progrès pour la Chine, même si on ne peut pas vraiment savoir lesquels. »

Le futur chef de l’Etat serait irrité par la corruption

Les Chinois « ordinaires » qui cherchent à en apprendre davantage sur le nouveau leader doivent acheter un logiciel payant afin de contourner la censure d’Internet. Les plus malins découvrent alors les rumeurs entourant la fortune de Qi Qiaoqiao, 63 ans, soeur du nouveau secrétaire général du PCC, de son époux et de leur fille. Le site de Bloomberg, le groupe de presse américain, est bloqué en Chine depuis que son agence a révélé leurs actifs: 18 % des parts d’une entreprise de terres rares estimée à 1,73 milliard de dollars, 20,2 millions de dollars d’actions dans une société de technologie, une villa estimée à 31,5 millions de dollars à Hongkong et au moins six autres biens immobiliers dans l’ancienne colonie britannique d’une valeur cumulée de 24,1 millions de dollars.

Xi Jinping, pour sa part, serait plus sobre. Un télégramme diplomatique de l’ambassade des Etats-Unis à Pékin, daté de 2009 et révélé par WikiLeaks, cite un professeur de sciences politiques, fils d’une personnalité influente, qui a vécu pendant des années en face de l’appartement de M. Xi, dans le quartier des officiels de la capitale. D’après son ancien voisin, il serait irrité par la corruption et par les nouveaux riches de la Chine contemporaine, qui s’affichent de façon provocante. Il se percevrait comme un « héritier légitime » du régime que son père a aidé à construire et estimerait, à ce titre, qu’il « mérite de gouverner la Chine ». Enfin, conclut le professeur, Xi ennuyait les femmes et ne buvait guère d’alcool, comme tant d’autres dans son milieu. Ce serait un homme « froid et calculateur », certes, mais « un type bien », car il aidait les autres et avait réponse à toutes les questions.

Toute sa famille a pâti de la Révolution culturelle

La famille plus éloignée, en tout cas, a été mise en garde. L’Express a pu rencontrer certains de ses membres dans le canton de Fuping, dans la province centrale du Shaanxi, où les Xi ont leurs racines – Xi Jinping, lui, est né à Pékin. Son cousin, Xi Xiaoping, 53 ans, se souvient d’une leçon de droit et de morale, en forme d’avertissement, donnée par son illustre parent lors d’un passage dans la région de ses ancêtres: « Il nous a dit de veiller à respecter la loi, car il ne pourrait rien faire pour nous protéger. Xi Jinping a été très bien éduqué par son père, ajoute-t-il: celui-ci n’a jamais tiré de profit personnel. Surtout, il est toujours resté loyal au Parti. »

L’inverse n’a pas toujours été vrai. Le père de Xi Jinping s’était hissé au rang de vice-premier ministre quand, en 1962, il est victime d’une purge lancée par Mao, pour avoir défendu un officiel déchu. Contraint de faire son autocritique, il est expédié à la campagne trois ans plus tard, et joue le vice-directeur d’une usine de tracteurs. Il doit attendre la fin des années 1970 pour prendre sa revanche, quand il est nommé à la tête de la province du Guangdong, la province au coeur des premières réformes.

A l’image de millions d’autres à travers le pays, toute la famille de Xi Jinping a pâti de la Révolution culturelle et de ses folies. Xi Zhongfa, aujourd’hui âgé de 82 ans, cousin du père mais élevé à son côté, a subi les foudres maoïstes en raison de ses liens de parenté avec le dirigeant purgé. « On ne savait pas quelle erreur il avait commise à Pékin, mais cela a eu des répercussions jusqu’ici », se souvient le retraité. Les enfants se voient refuser l’accès à l’école locale. Zhongfa doit travailler bien plus que les autres, et cela ne suffit jamais. On l’humilie, on le force à nettoyer la rue du village.

Ce passif familial contribue à expliquer pourquoi Xi Jinping n’a pas été ménagé, à partir de la fin des années 1960, lors de son séjour dans le village de Liangjiahe, où les hivers sont rudes. Les habits qui lui sont confiés sont si fins qu’un membre de la famille y a cousu, en toute discrétion, une doublure lors d’un passage furtif de Xi Jinping chez ses cousins, se souvient le vieil homme, cheveux gris en brosse, qui passe le temps, cet après-midi-là, devant un feuilleton télévisé, sa veste à col Mao sur le dos. « Nous sommes une famille honnête, qui ne parle pas beaucoup mais qui a bon coeur », ajoute Zhongfa.

L’ascension de Xi satisfait aussi les « princes » rouges

Au fil des années, Xi Jinping a su gravir les échelons du PCC -sans éclat, certes, mais sans commettre de faute majeure. En 1975, à peu près au moment où son père cesse d’être persécuté, il intègre la très prestigieuse université de Tsinghua, décroche un diplôme de chimie, devient, en 1979, secrétaire d’un protégé de son père passé vice-premier ministre, puis, en 1982, il est envoyé gérer un canton situé à 300 kilomètres au sud-ouest de Pékin. Trois ans plus tard, il est muté dans la province côtière du Fujian, face à Taïwan, où il fait ses classes pendant dix-sept ans. Il tient d’abord des postes au comité du Parti de la capitale provinciale, Fuzhou, puis monte à la tête de l’école locale du PCC. Devenu vice-gouverneur de la région, puis gouverneur, il conserve son poste, à la fin des années 1990, lorsqu’éclate un gigantesque scandale de corruption autour de Lai Changxing, un homme d’affaires véreux : à la différence de nombre de hauts fonctionnaires locaux, Xi Jinping a su se tenir à l’écart du personnage sulfureux.

En 2002, le voilà muté à la tête de la province du Zhejiang, berceau de l’entrepreneuriat privé, au sud de Shanghai, où il apporte son soutien à des sociétés comme Geely, qui achètera plus tard le groupe Volvo. C’est là que Xi Jinping noue des liens plus proches avec Jiang Zemin, qui vient de quitter la présidence mais demeure un pilier du pouvoir. « En termes de carrière, Xi Jinping est une floraison tardive », constate Willy Lam, observateur de la politique chinoise au sein de la fondation Jamestown, à Hongkong. Tandis que Jiang Zemin se fait construire une maison à Shanghai, il profite des travaux pour séjourner dans la province voisine. « Xi Jinping, avec habileté, a passé le plus de temps possible à son côté, ajoute Willy Lam. C’est ainsi qu’il est devenu l’un de ses protégés. »

En mars 2007, quand un scandale de corruption fait chuter le secrétaire du Parti de Shanghai, l’ex-président Jiang Zemin propulse son poulain à la tête de la capitale économique. Il n’y reste que six mois. En octobre de la même année, Xi Jinping est nommé au comité permanent du bureau politique du Parti, le poste de pilotage de la Chine, et devient vice-président. C’est la route qui, sauf accident, mène au sommet. Le président Hu Jintao, préparant sa succession, parrainait plutôt Li Keqiang : l’un et l’autre sont des anciens de la Ligue de la jeunesse communiste. Mais Jiang Zemin, qui craignait que son clan ne perde de l’influence, est parvenu à lui barrer la route: Li Keqiang héritera « seulement » du poste de Premier ministre. Le grand gagnant de ces luttes de factions, vieilles comme la Chine, c’est Xi Jinping. Son ascension satisfait aussi les « princes », ces fils de personnages historiques du régime, arrivés à leur tour en âge de gouverner, qui constituent, ensemble, une sorte d’aristocratie rouge. « Leur faction pèse un poids certain, mais elle est moins cohérente que d’autres, explique Cheng Li, spécialiste de la Chine au sein de la Brookings Institution. Les  »princes » sont réunis par une identité commune et tentent surtout de protéger leurs intérêts ».

« En 2007, quand Xi Jinping est désigné pour rejoindre le comité permanent du bureau politique, il est choisi parce qu’il est acceptable par chacun, souligne Willy Lam. Il est vu comme un type bien, qui joue en équipe, et qui n’a pas d’idées dangereuses. Il peut travailler avec toutes les factions. Son succès s’explique moins par la pertinence de ses idées que parce qu’on le juge inoffensif. »

Son soutien au secteur privé et le caractère réformateur de son père nourrissent un certain optimisme de la part de ceux, en nombre croissant, qui pensent que la Chine s’embourbe si elle n’engage pas très rapidement une nouvelle vague de réformes économiques, à l’heure où les mastodontes étatiques étouffent les petites et moyennes entreprises. Xi Jinping a également envoyé un message politique en rencontrant au cours de l’été Hu Deping, un économiste progressiste, fils du président Hu Yaobang, dont les trop discrètes obsèques, au printemps 1989, poussèrent les étudiants de Pékin à occuper la place Tiananmen.

Au PCC, on a redouté qu’il ne soit le « Gorbatchev chinois »

Quand bien même le futur président aurait la volonté d’ouvrir plus rapidement le régime chinois, ce qui n’est pas certain, rien ne prouve que le pouvoir d’un seul homme y suffirait. « Xi est considéré comme une personne très ouverte d’esprit, par exemple pour ce qui est de l’économie de marché. Mais beaucoup se sont assurés qu’il ne serait pas le Gorbatchev chinois », temporise Cheng Li.

De lui, on dit aussi qu’il aime les films américains, notamment de guerre. Son voyage à Mus-catine, dans l’Iowa, dans les an-nées 1980, l’aurait ouvert au monde extérieur ; sa fille étudie, sous un faux nom, à la prestigieuse université Harvard. Lui, apprécie par ailleurs l’oeuvre du réalisateur Jia Zhangke, connu pour dépeindre l’envers social du miracle chinois. « Les gens qui le rencontrent sont toujours étonnés par son ouverture, mais il faut se garder d’en déduire qu’il engagera des réformes politiques, conclut Cheng Li. Sur ce point, comme souvent en Chine, personne ne sait.

De notre correspondant Harold Thibault

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La future première dame, Peng Liyuan, une Mireille Mathieu locale La notoriété de Peng Liyuan dépasse celle de son époux Xi Jinping, futur président de la république de Chine. Elle reprend, dans ses chansons, les thèmes ruraux, et les valeurs traditionnelles chinoises. Peng Liyuan est une épouse très glamour. Des amis les présentent en 1986. Xi Jinping, futur président de la république de Chine, ignore alors que la soprano est l’interprète originale de certains de ses tubes favoris. Lors de leur première rencontre, elle le trouve rustique et froid, mais tombe finalement sous le charme de son intelligence. Un an plus tard, lorsqu’elle l’épouse, Peng Liyuan est bien plus connue que son mari, sorti d’un premier mariage. Soldate dès ses 18 ans dans l’armée populaire, élevée aujourd’hui au grade de générale, Peng Liyuan est remarquée pour sa voix. Elle devient, en peu de temps, une interprète incontournable du gala du nouvel an lunaire, programme télévisé le plus suivi de Chine. A 49 ans, elle a désormais mis sa carrière entre parenthèses, afin de ne pas faire d’ombre à son mari, mais reste la carte glamour d’un époux aux allures de technocrate. Le couple a une fille qui étudierait aux Etats-Unis, à Harvard, sous un nom d’emprunt.

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