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Chine: « Les cadres de l’administration s’enrichissent grâce à la politique de l’enfant unique »

Une femme chinoise enceinte de sept mois et contrainte d’avorter en juin dernier vient d’obtenir des autorités un dédommagement financier. Un geste symbolique, dans un pays où des milliers de femmes sont toujours victimes de l’application brutale de la politique de l’enfant unique, plus que jamais remise en cause.

L’avortement forcé de Feng Jianmei, originaire de la province du Shaanxi, dans le Nord de la Chine, a choqué le monde entier. Une dérive médiatisée de la politique de l’enfant unique, appliquée à la fin des années 1970, et jugée responsable de nombreux déséquilibres actuels dans la société chinoise: vieillissement rapide de la population, supériorité numérique des hommes par rapport aux femmes, enlèvement d’enfants, etc. Pékin estime que la maîtrise de la natalité aurait permis d’éviter 400 millions de naissances depuis 1980. À quel prix?

Jean-Luc Domenach, spécialiste de la Chine et directeur de recherche au Centre d’Etudes et de Recherches Internationales de Sciences Po, répond au Vif.be.

Pour les autorités chinoises, l’avortement forcé à sept mois de grossesse de Feng Jianmei est un cas isolé. Qu’en pensez-vous?

C’est faux. Les autorités n’en savent pas grand-chose elles-mêmes. En réalité, la politique de l’enfant unique profite aujourd’hui aux cadres chinois de base, qui l’utilisent comme prétexte pour créer de nouvelles amendes. Si les couples ne respectent pas la règle, on leur demande de l’argent, qui, dans le meilleur des cas, est utilisé pour financer des investissements publics, comme la construction de routes, ou, dans le pire des cas, remplit simplement les poches des fonctionnaires. Ces excès découlent d’une politique qui donne des pouvoirs aux cadres moyens du parti qui en profitent pour s’enrichir. C’est pour cela qu’en Chine, toutes les formes de violence et de pression sont utilisées pour faire respecter la règle de l’enfant unique.

Feng Jianmei et son mari viennent d’obtenir des autorités un dédommagement financier d’environ 9000 euros. Pourquoi ce geste?

Tout est question du rapport de force entre Pékin, le pouvoir local et l’opinion. La publicité qui entoure une affaire est très importante. A partir du moment ou les autorités savent qu’une telle histoire a été médiatisée à l’étranger, elles font un geste. L’objectif est de faire respecter la règle. S’il y a des excès, Pékin intervient, en condamnant les autorités provinciales, qui elles-mêmes sanctionnent le cadre de l’administration responsable. Mais je ne prends pas beaucoup de risques en vous disant qu’il doit exister des centaines de milliers de cas similaires d’avortements contraints restés dans l’ombre.

La politique de l’enfant unique entraîne de nombreux problèmes sociaux, et bientôt économiques, en Chine. Pékin va-t-il la maintenir encore longtemps?

Les dirigeants eux-mêmes hésitent, tout en restant ouverts au débat, tandis que les démographes chinois ne sont pas d’accord entre eux sur l’attitude à adopter. Cela fait partie des problèmes insolubles qui s’expliquent par l’immensité du territoire, laquelle crée dans le pays d’importantes inégalités de situations. Prenez par exemple la Chine rurale: si on y assouplit la politique de l’enfant unique, la natalité va repartir, car traditionnellement, faire des enfants c’est assurer l’avenir de la famille. En revanche, la Chine des côtes n’a plus besoin d’une telle politique. C’est donc une affaire très compliquée.

Propos recueillis par Esteban Wendling, L’Express

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