© Reuters

Chine: le Playboy, le Web et le Truand

L’accident mortel du fils d’un des alliés du président Hu Jintao plonge le monde politique chinois dans l’embarras et agite les rumeurs sur la Toile.

La mise à l’écart de Ling Jihua, cadre du parti communiste, à quelques semaines du XVIIIe congrès du Parti, serait liée à un accident de Ferrari, dont son fils a été victime au printemps, une affaire étouffée jusque-là.

Il ne s’agissait au départ que d’un banal accident de la route, sur le périphérique Nord de Beijing, la capitale chinoise: le 18 mars 2012, aux premières heures du jour, un playboy âgé d’un vingtaine d’années lancé à toute vitesse au volant de sa Ferrari et accompagné de deux femmes très déshabillées, finit sa trajectoire dans le mur.

Problème, le jeune homme n’est autre que le fils de Ling Jihua, principal allié et poulain du président Hu Jintao. L’incident plonge l’ensemble de la classe dirigeante chinoise dans un nouveau scandale dont elle se serait bien passé à l’approche du dix-huitième congrès du Parti, prévu cet automne. Après l’affaire Bo Xilai, c’est un revers sévère pour le président chinois qui, sur le point d’abandonner le pouvoir, comptait jouer sur son image d’homme politique intègre et engagé dans la lutte contre la corruption.

La polémique qui a suivi l’accident a pris naissance de manière inattendue, révélant les pièges de la censure officielle dont joue le pouvoir en Chine afin de maintenir l’opinion publique à l’écart des scandales de corruption impliquant des hommes politiques de première ligne. Ainsi que le révèle le New York Times, c’est tufuwugan, un blogueur du Xianmen, qui a lancé le scandale dès le lendemain de l’accident, en postant sur Sina Weibo, le Twitter chinois, un message adressé, semble-t-il, aux censeurs du Parti: « C’était un accident de voiture ordinaire, et je n’y aurais pas vraiment fait attention si vous n’aviez pas été si suspicieux, effaçant tous les commentaires – ce n’est qu’alors que j’ai commencé à devenir moi-même intrigué par cette histoire. Vous continuez tous à utiliser des tactiques stupides, réussissant seulement à prouver que les rumeurs ne sont pas fausses! ».

« Ferrari » et « Ling Jihua » bloqués sur le Twitter chinois

Au fil des semaines, l’affaire s’étoffe: les recherches sur « Ling Jihua », « fils de Ling Jihua » et « Ferrari » sont bloquées sur Sina Weibo. Les journaux officiels mentionnent l’accident mais l’identité de la victime reste soigneusement cachée, le certificat de décès s’avérant être un faux. Les rumeurs vont alors bon train sur la Toile, mais aussi dans les couloirs du pouvoir à Pékin. Certains prétendent que c’est le fils illégitime de Jia Qinglin, conseiller politique de haut rang, qui a trouvé la mort dans l’accident. Ce dernier, soutenu par l’ancien chef du Parti et principal adversaire de Hu Jintao, Jiang Zemin, aurait en réponse commandité une enquête qui établit rapidemment que c’est bien le fils de Ling Jihua qui était au volant de la Ferrari. L’affaire ne s’ébruite pourtant qu’en juin, soit plus de trois mois après l’accident, sur le portail du site Internet de la diaspora chinoise, Boxun, aussitôt démentie par d’autres médias affirmant que Ling Gu, fils de Ling Jihua, serait toujours vivant.

La rapidité des réactions sur Internet tranche avec l’immobilisme du régime face à une rumeur qui enfle. Alors que beaucoup s’interrogent sur le fait qu’un fils de dirigeant puisse s’offrir une voiture estimée à 788 000 dollars et accusent la femme de Ling Jihua d’avoir détourné de l’argent provenant d’une oeuvre caritative, le bras droit de Hu Jintao continue à accompagner le président chinois dans ses déplacements, s’imposant de plus en plus comme son futur relai d’influence après sa démission prévue cet automne. Ce n’est que samedi 1er septembre que Ling Jihua a finalement été rétrogradé au sein du Parti, se voyant attribuer la fonction symbolique de directeur du département du Front Uni qui s’occupe des relations avec les minorités, une position bien moins stratégique que son ancien poste de chef du Bureau général du Comité du Parti. Une « promotion » déguisée par le pouvoir en place mais qui fait suite à l’accident de voiture qui a coûté la vie au jeune playboy Ling Gu.

Les luttes de pouvoir sont si intenses que la moindre petite affaire va être amplifiée, sans parler d’un accident si polémique
Internet aurait-il alors permis de faire éclater la vérité ? Pas si sûr, ou tout du moins, pas seulement… Car si la Toile a offert une place de choix pour que l’affaire soit suivie et qu’une enquête ait lieu, la dénonciation de la corruption du pouvoir s’inscrit aussi dans un contexte de lutte entre les plus hauts dirigeants du Parti chinois à l’approche du Congrès d’automne. Et comme le souligne l’analyste politique Chen Ziming dans le journal hong-kongais qui a révélé l’affaire, le South China Morning Post: « Les luttes de pouvoir sont si intenses que la moindre petite affaire va être amplifiée, sans parler d’un accident si polémique ». Relayant les rumeurs comme les accusations les plus sérieuses, Internet risque donc, ces prochaines semaines, d’être un haut lieu de censure mais aussi de propagation de fausses informations. Cela a commencé, d’ailleurs. Déjà, les opposants politiques de Ling Jihua l’attaquent, non pas sur le fond de l’affaire et sur les réseaux de corruption qu’elle met en lumière, mais pour avoir su garder son calme et s’être rendu à son travail le lendemain de la mort de son fils.

Par Clothilde Mraffko , L’Express

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire