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Chine : guerre au sommet de l’Etat, rumeurs et mort mystérieuse

La chute récente de Bo Xilai, étoile montante du Parti communiste chinois, a jeté une lumière crue sur les rivalités au sommet de l’Etat. Avec la mort d’un consultant britannique, l’intrigue vire au polar.

Qu’est-il arrivé à Neil Heywood ? Le sort de cet homme d’affaires britannique pourrait bien être la clef d’une intrigue politique dont les multiples rebondissements reflètent l’ampleur des luttes de pouvoir au sommet de l’Etat chinois. Consultant, parlant couramment le mandarin et représentant d’Aston Martin à ses heures perdues, Heywood a été retrouvé mort, le 14 novembre dernier, dans sa chambre d’hôtel à Chongqing, cité tentaculaire du haut Yangtzé. Tué par l’alcool, selon les autorités, alors qu’il était connu de ses proches pour sa sobriété.

« Chanter le rouge ! Combattre le noir ! »

Les suspicions sont assez fortes pour que Londres demande à Pékin de faire toute la lumière sur l’affaire : dans cette ville en pleine expansion du centre de la Chine, Heywood faisait jouer ses guanxi, ses « connexions », avec l’entourage de Bo Xilai. Au Royaume-Uni, certains craignent que son décès soit lié à la tombée en disgrâce du secrétaire général du Parti de Chongqing.
La chute de ce personnage charismatique est tout aussi spectaculaire que son ascension. Surtout, elle n’en finit pas de révéler au monde les dissensions à l’intérieur d’un Parti qui cherche, tant bien que mal, à afficher son unité à quelques mois de la passation de pouvoir de l’équipe du président Hu Jintao et du Premier ministre Wen Jiabao à une nouvelle génération de dirigeants, au mois d’octobre prochain.

Bo Xilai semblait jusqu’à il y a un mois promis au Comité permanent du Bureau politique du Parti communiste, le poste de pilotage à neuf sièges de la Chine. Fils de Bo Yibo, l’un des huit « immortels » de la fondation du Parti, belle gueule à l’expression aisée, il se démarquait pour deux faits d’armes résumés par la formule « Chanter le rouge ! Combattre le noir ! ». Initiateur en 2009 d’une campagne sans précédent de lutte contre la corruption et les « groupes noirs », nom chinois des triades, il s’était attiré les honneurs du Parti et le respect du peuple. Problème : il ressort, depuis sa chute, qu’il avait également utilisé cette campagne pour suspendre tout cadre judiciaire et nettoyer plus aisément la ville de ses ennemis politiques. Son autre fait d’armes fut d’imposer à Chongqing d’entonner des chants rouges de l’ère maoïste et de suspendre la diffusion des séries B pour les remplacer par des feuilletons patriotiques. Il n’en fallut pas plus pour faire de lui l’un des porte-voix de la « nouvelle gauche », ces nostalgiques d’un temps où l’idéologie du Parti était encore bien ancrée dans l’esprit des Chinois. Il était aussi, ipso facto, l’une des cibles des « progressistes » – ces partisans du pragmatisme et de l’ouverture -, tels que le Premier ministre, Wen Jiabao.

Bo Xilai « trahi » par un de ses anciens alliés

C’est le partenaire de Bo dans la gloire qui l’entraîna dans sa chute. Wang Lijun, superflic incorruptible au corps marqué par des cicatrices de balles, avait fait tomber les têtes – dont celle du chef de la justice de la ville, en 2009. Mais il s’est retourné contre son ancien ami et a tenté de faire ses valises en rendant une visite de vingt-quatre heures au consulat des Etats-Unis de Chengdu, le 6 février. L’épisode lui valut d’être qualifié de traître à la nation par la tête du Parti. Il y aurait demandé l’asile politique, et aurait donné des informations compromettantes sur les activités de la famille de Bo. A la suite de ce mystérieux rendez-vous, Bo Xilai a perdu son poste de secrétaire du Parti de Chongqing. Il a été remplacé, le 15 mars, par Zhang Dejiang, vice-Premier ministre.

La direction du Parti s’interroge désormais sur le sort à réserver à Bo Xilai, toujours populaire. Sa mise à l’écart relance la lutte pour l’attribution des postes entre les fils de dirigeants historiques, d’une part, et la faction de Hu Jintao, d’autre part. Privés d’informations sur ces intrigues de palais, les Chinois colportent les rumeurs les plus extravagantes, au point que les commentaires et le microblogging ont été bloqués sur Internet pendant quelques jours. Le peuple est, pour l’instant, la première victime des luttes des factions.

De notre correspondant Arthur Henry

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