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Chine: Chinoiseries entre camarades

À Pékin, l’émergence d’une nouvelle génération de leaders, lors du prochain Congrès du Parti, était en principe écrite à l’avance. Mais frasques et scandales bousculent la transition.

Le choc a été si violent, le 18 mars avant l’aube sur le 4e périphérique nord de Pékin, que la Ferrari noire a été coupée en deux… et que la course au Comité permanent du bureau politique s’en trouve bouleversée. À bord du bolide, un jeune homme, retrouvé mort, et deux demoiselles en petite tenue, gravement blessées. Six mois plus tard, à quelques semaines d’une transition n’intervenant qu’une fois par décennie à la tête du Parti communiste chinois (PCC), la révélation de nouveaux détails sur l’affaire est une sortie de route pour les dirigeants chinois, toujours soucieux de s’étriper dans le secret d’un huis clos.

Dans les semaines qui suivent, la presse officielle couvre l’identité du jeune garçon. Un nom de famille émerge pourtant dans les médias dissidents installés à l’étranger: Jia. En l’absence de précisions des autorités, le patronyme amène certains à imaginer que le défunt est le fils du n° 4 du Politburo, Jia Qinglin.

Les plans de sortie du pouvoir de Hu Jintao compromis

Et voici qu’à moins de deux mois de la transition à la tête du Parti, au début du mois de septembre, un journal de Hongkong révèle que la victime, âgée d’une vingtaine d’années, s’appelle Ling Gu. Son père est un autre haut dirigeant, Ling Jihua. Proche conseiller du président sortant, Hu Jintao, il est son poulain parmi les officiels de la 6e génération -celle qui, sauf erreur de parcours, montera à son tour au pouvoir dans une décennie. Le Comité permanent du bureau politique doit être renouvelé à l’occasion du 18e Congrès, le mois prochain. Deux de ses membres ont déjà leur chaise réservée -le futur président, Xi Jinping, et son Premier ministre, Li Keqiang. Les luttes de factions sont assez intenses pour qu’un consensus demeure difficile à établir sur les sept autres postes. D’autant qu’un autre incident est venu compliquer l’affaire en mars: la chute du charismatique Bo Xilai, un temps promis à l’un des neuf sièges.
L’épisode de la Ferrari compromet les plans de sortie du pouvoir de Hu Jintao lui-même. Le président, par ailleurs secrétaire général du Parti, tente de placer ses hommes afin de conserver la main dans l’ombre (c’est de bonne guerre: le prédécesseur de Hu, Jiang Zemin, 86 ans, n’a jamais cessé d’agir de la sorte). Or, les circonstances de l’accident jettent une ombre sur l’image de sobriété que cherche à donner Hu Jintao: « Les gens vont demander comment Ling Gu pouvait s’offrir une voiture de sport à 5 millions de yuans », constate le South China Morning Post. Jusqu’alors installé à un poste équivalent à celui d’un chef de cabinet, M. Ling a été nommé, le 1er septembre, à la tête du département du Front uni -une promotion qui ressemble fort à une mise au placard.

Signe que les coups pleuvent, un média officiel n’a pas hésité à critiquer le bilan du président sortant, alors qu’il est toujours en place. Dans un éditorial publié le 4 septembre, le Study Times constate que M. Hu et son Premier ministre ont beaucoup parlé d’Etat de droit et d’évolution démocratique, sans grands résultats concrets. Le tandem a « engrangé davantage de problèmes que de réussites », ose le journal. Ces intrigues de palais apparaissent chaque jour plus risibles aux yeux de nombreux Chinois. Elles se jouent à l’abri des regards, à l’heure où les jeunes partagent l’information en temps réel sur les microblogs. Le calendrier du Congrès est symbolique de ce décalage: s’il est probable qu’il se tiendra à la mi-octobre, sa date reste secrète. En début de semaine, les communiqués officiels se bornaient à évoquer la « seconde moitié de 2012 ».

Par Arthur Henry, L’Express

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