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Cherche papabile désespérément…

Alors qu’à Rome tous les regards sont déjà tournés vers le futur conclave, Le Vif/L’Express s’est mis dans la peau d’un cardinal électeur.

Il prit l’Evangile, l’ouvrit et le plaça devant ses yeux : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » Béni, oui, celui qui viendrait redonner souffle et vie à l’Eglise en ces temps si tumultueux. Le cardinal – appelons-le Etienne Modéré – soupira. Benoît XVI venait de renoncer à sa charge pontificale ; un coup de théâtre historique. S’il avait trouvé le geste courageux, de nombreux autres monsignori, à Rome, n’étaient pas de cet avis. « Comment Ratzinger, qui a tant dénoncé l’individualisme moderne, a-t-il pu lui-même se résoudre à poser un acte si personnel ? Il désacralise la papauté, il ouvre la porte à un mandat pontifical limité dans le temps et il nous met sous la pression des médias ! » s’étranglaient les plus acerbes. Pour le cardinal, au contraire, le vieux pape avait voulu montrer au monde et aux hiérarques catholiques que seuls Dieu et la fonction papale étaient sacrés. Le pontife, lui, restait un homme. Un homme dont certains cardinaux redouteraient peut-être le jugement, au moment d’élire son successeur.

« Les poisons du Vatican ». Ah ! cette presse italienne, si friande du moindre bruit de couloir… Cet été, c’est vrai, le cardinal Modéré avait bien ri en découvrant le surnom que les journalistes avaient donné aux trois éminences chargées par le pape d’enquêter sur le scandale des VatiLeaks : les « cardinaux 007 ». Mais les derniers rebondissements de ce sac de noeuds et de soutanes lui donnaient la nausée. D’après le quotidien La Repubblica, le rapport des trois porporati reconvertis en fins limiers évoquait clairement des pratiques de corruption caractérisée et une filière homosexuelle – avec prestations tarifées – parmi les responsables de l’Eglise, toutes tendances confondues. Une « bombe », à quelques jours de l’élection du nouveau pape. Et un boulet. Le contenu de ce rapport ultraconfidentiel allait-il être communiqué aux cardinaux réunis après le renoncement de Benoît XVI en congrégations générales ? Ce temps de débat crucial était l’occasion pour les cardinaux venus des quatre coins du monde de faire connaissance, d’échanger sur l’état de l’Eglise et d’exposer leurs idées. L’occasion, aussi, pour les plus ambitieux, de faire valoir subtilement leurs qualités de papabili tout en se gardant de briguer ouvertement les suffrages. Dans les couloirs de la curie, on connaissait la mésaventure du Génois Giuseppe Siri, plusieurs fois papabile, qui n’avait pris, dit-on, qu’un aller simple pour le conclave d’octobre 1978, sûr d’être élu. Pas de chance : le « jeune » Wojtyla l’avait coiffé au poteau.

En cet hiver 2013, c’était surtout de sérénité dont les cardinaux électeurs avaient besoin. En recevant les trois agents 007 à trois jours de sa cérémonie de renoncement, le 28 février, Benoît XVI avait, semble-t-il, voulu crever l’abcès des VatiLeaks avant le conclave. Mais il avait aussi accentué la pression médiatique sur les porporati du Sacré Collège.

« Un futur pape bon pasteur et moralement exemplaire »

Car des noms pourraient être lâchés durant les réunions des congrégations générales, des noms appartenant forcément à des membres de la curie. Au Vatican, nul n’ignorait les moeurs homosexuelles de certains monsignori. Que se passerait-il si des cardinaux papabili figuraient sur la liste ? Homosexualité, pédophilie, les amalgames iraient bon train, d’autant qu’un éminent cardinal écossais venait de démissionner, à la suite des plaintes de plusieurs prêtres pour comportements déplacés…

Midi approchait. Etienne Modéré traversa la via della Conciliazione sous la bruine. Bientôt, songea-t-il, les échafaudages des télévisions internationales installés pour le conclave auraient englouti la zone de stationnement des taxis devant la place Saint-Pierre. Dans son bureau, dont la décoration n’avait pas dû changer depuis les années 1950, son ami Pio l’attendait, plus romain que romain après vingt ans passés à la curie. « Avec toutes ces affaires, il nous faut un pape jeune, mais pas trop, car, s’il ne donne pas satisfaction, nous en prenons pour plusieurs décennies ! sourit le père Pio. Il devra être aussi bon pasteur et, surtout, moralement exemplaire. » Purifier l’Eglise, n’était-ce pas, finalement, ce que les démiurges des VatiLeaks prétendaient rechercher lorsqu’ils avaient fait éclater leur scandale au printemps 2012 ? pensa Etienne Modéré. En tout cas, le marigot actuel semblait sérieusement disqualifier le camp des « Italiens ». De nombreux cardinaux étrangers les jugeaient responsables du chaos, par leurs manoeuvres et leur mauvaise gestion des événements. Mais les Italiens, routiers de l’élection papale, avaient du répondant : ils comptaient 28 électeurs dans le Sacré Collège, auxquels il fallait ajouter les prélats de nationalité étrangère appartenant à la curie, donc italianisés. Leur front était plus puissant encore que durant le conclave de 2005. Et jusque-là, le prestige du candidat « vedette » des Italiens, Angelo Scola, archevêque de Milan, n’était pas entamé, même si certains craignaient que cet ancien du mouvement conservateur Communione e liberazione ne laissât pas suffisamment de place aux voix plurielles dans l’Eglise.

« Finalement, un pape européen serait un bon compromis, reprit le père Pio. Il nous faut quelqu’un qui connaisse un peu la curie, pour pouvoir réformer les structures de gouvernement de l’Eglise sans se faire « avaler » tout cru par les « curialistes ». Il y a trop d’organismes superflus, trop de centralisme et pas assez de poigne.

– Et pourquoi pas quelqu’un d’Amérique du Nord ou du Sud ? demanda Etienne Modéré. Après tout, les défis de l’Eglise vont bien au-delà de l’Europe et de sa crise des vocations. On donnerait ainsi à la papauté une ouverture internationale qui refléterait ses nombreux autres chantiers : la liberté de culte des chrétiens en Asie, par exemple, ou la concurrence des évangéliques en Amérique du Nord et en Afrique.

« La prière m’aidera à y voir plus clair. » Le cardinal Modéré se faufila dans la chapelle Sixtine, aux oeuvres fraîchement époussetées. C’est là que les princes de l’Eglise se retrouveraient avant Pâques pour élire leur nouveau pontife. En cette année 2013, chacun souhaitait que le scrutin soit bref, pour ne pas ajouter à la confusion. Le prélat s’arrêta devant Le Jugement dernier, grandiose enchevêtrement de corps et d’âmes luttant aux portes de l’enfer. Dans quelques jours, il prêterait serment avec ses pairs devant l’oeuvre prophétique. En son âme et conscience.

DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE CLAIRE CHARTIER

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