Thierry Bellefroid

« Cher Thomas Jefferson, pourriez-vous plaider pour un cours d’histoire à l’école ? »

Il ne m’a pas échappé que vous avez pris votre retraite définitive il y a cent nonante et un ans. Mais je ne dois pas vous dire que lorsqu’on a été président des Etats-Unis d’Amérique, le  » job  » ne s’arrête jamais. Demandez à Jimmy Carter, il en connaît un rayon, lui qui détient le record du nombre d’années de vie après une présidence.

Eh oui, mon cher Thomas, vous qui avez largement contribué à la rédaction de la Déclaration d’indépendance de votre pays et créé l’université de Virginie, vous qui avez dirigé l’Amérique durant huit ans au début du xixe siècle, vous n’en avez pas fini avec le devoir. Si je vous sollicite aujourd’hui, c’est pour vos qualités de pédagogue. Vous n’étiez pas né pour être président. Votre véritable métier, votre passion dévorante, c’était l’apprentissage du monde.

Dès vos 20 ans, vous complétez la bibliothèque que vous a légué votre père en 1757, forte à l’époque d’une cinquantaine d’ouvrages. Lorsqu’elle part en fumée, treize ans plus tard, vous avez multiplié ce nombre par sept, amassant toutes sortes de savoirs – en anglais, mais aussi dans d’autres langues, fussent-elles mortes comme le latin et le grec, que vous maniez à la perfection. Le droit y a une place de choix, mais il voisine la littérature, l’architecture, la botanique, les mathématiques ou la chimie, par exemple.

Cette bibliothèque incendiée, vous la reconstruirez dans votre nouvelle demeure, à Monticello, achetant près d’un livre par jour pendant des années. Elle aussi disparaîtra. Par ricochet. Le siège de Washington par les troupes anglaises entraîne la destruction du jeune Capitole et de ses archives. Considérant qu’un pays sans mémoire et sans savoir ne peut être une grande nation, vous décidez de proposer à l’Etat vos six mille cinq cents ouvrages personnels au prix que voudra consentir le Congrès. A un peu plus de 70 ans, entouré de rayonnages presque vides, vous entreprenez de reconstituer une fois encore votre bibliothèque. A votre mort, dix ans plus tard, vous êtes entouré d’environ mille cinq cents ouvrages.

Vous le savez, cher Thomas, depuis un peu plus d’un an règne à la Maison-Blanche le culte de l’inculture. Un président démocratiquement élu a le droit de détricoter ce qu’ont fait ses prédécesseurs. Il peut flatter son électorat, privilégier les plus riches si telles sont ses convictions et cultiver des accents guerriers. Il a même le droit, dans un accès de mégalomanie, de se proclamer un génie, comme l’a fait Donald Trump sur Twitter. Mais peut-il répandre l’idée que l’instruction n’a pas d’importance ? Peut-il tout ignorer de ce que l’histoire lui enseigne ? C’est pour ces raisons que je fais appel à votre sens du devoir. Que diriez-vous, cher Thomas Jefferson, d’exercer à titre gracieux la fonction de précepteur à la Maison-Blanche ? Et tant que vous y êtes, puisqu’on parle des enseignements de l’histoire, j’aurais un petit service supplémentaire à vous demander.

Vous ne connaissez pas la Belgique, même si vous avez été ambassadeur américain en France, juste avant la Révolution – nous n’existions pas encore. Pourtant, si vous pouviez passer par chez nous un de ces jours (je vous prêterai un atlas du xxie siècle, promis), pourriez-vous venir plaider en faveur du cours d’histoire à l’école ?

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