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Charlie Hebdo : une « crispation » sur la religion qui peut créer l’autocensure

L’incendie de Charlie Hebdo, qui sort un numéro rebaptisé « Charia Hebdo », tout comme les manifestations d’intégristes catholiques contre une pièce de théâtre, illustrent une « crispation » sur les sujets religieux qui risque de pousser artistes et journaux à l’autocensure, selon des experts.

L’incendie des locaux du journal satirique, qui publiait ce mercredi un numéro spécial avec Mahomet comme « rédacteur en chef », montre « une fois de plus à quel point les thèmes religieux deviennent délicats. Ce sont des thèmes qui contiennent une certaine dose d’explosifs », relève le sociologue Odon Vallet, spécialiste des religions.

« La religion et l’art, quand vous les mettez ensemble, ça explose. Parce qu’il n’y a pas d’art sans liberté, sans irrespect parfois. Et la religion, elle, est fondée sur une restriction des libertés », ajoute-t-il.

Cette difficulté à parler de la religion n’est pas nouvelle. Elle concerne la presse, mais aussi le théâtre, le cinéma ou la publicité. En témoignent l’incendie en 1988 d’un cinéma parisien projetant « La dernière tentation du Christ » de Martin Scorsese, accusé de blasphème, ou le mouvement en 1963 contre « Le Vicaire », pièce critiquant l’action de Pie XII durant la guerre.

S’y ajoutent le harcèlement, ces dernières semaines, de la pièce « Sur le concept du visage du fils de Dieu » de l’Italien Romeo Castellucci, par des intégristes catholiques manifestant devant le Théâtre de la Ville à Paris.

Pour les spécialistes interrogés, qui font le lien entre l’incendie de Charlie Hebdo et les protestations devant le théâtre, on assiste à une forme de durcissement sur ces questions.

« Il y a une sorte de crispation générale qui est assez inquiétante », souligne l’historien de la culture et des médias Christian Delporte, qui évoque pour l’expliquer « l’expression de questions identitaires et d’un certain nombre de personnes qui souhaiteraient sans doute qu’il y ait un choc des civilisations ».

Ce qui est « assez nouveau », relève-t-il, c’est que « c’était déjà difficile dans les années 80 ou 90, mais il s’agissait plutôt de religion catholique », et que « d’une manière générale, la caricature était préservée ».

Pour le sociologue des médias Jean-Marie Charon, « on ne peut pas isoler ce qui vient de se passer d’un contexte d’intolérance des religions à l’égard de différentes formes d’expression, que ce soit l’information ou l’expression artistique », mais aussi d’une « période où on voit monter des contestations virulentes vis-à-vis des médias ».

Ce qui, soulignent les experts, risque d’alimenter une certaine forme d’autocensure chez les journalistes ou les artistes.

« Mon sentiment, c’est qu’à la longue, ça a un impact sur la manière de traiter la religion dans les médias », estime Odon Vallet, qui indique avoir noté « depuis début janvier que les médias s’intéressent moins à la religion ».

« Je crains que cela ne renforce l’autocensure », ajoute Jean-Marie Charon, pour qui « dans un contexte où les modèles économiques ne sont pas très solides dans les médias, cela risque de conduire à ce que les hiérarchies rédactionnelles soient de plus en plus prudentes ».

« On peut penser qu’il y aura peut-être une certaine prudence, pas des caricaturistes mais peut-être des patrons de presse, pas des artistes mais peut-être des directeurs de théâtre », renchérit Christian Delporte. « Il ne s’agit pas d’une vraie autocensure, mais si on a le choix entre ça et autre chose, on fera peut-être autre chose. Donc c’est effectivement assez grave ».

Le Vif.be, avec Belga

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