Le "non" de la Wallonie est pour Arnaud Zacharie, grand spécialiste du combat altermondialiste, une "revanche de la démocratie". © FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI/ISOPIX

CETA: La Wallonie, pionnière ou archaïque ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

En s’opposant au Ceta, Paul Magnette est devenu, au choix, le nouveau héros altermondialiste ou un irresponsable dogmatique. La vérité est sans doute au milieu.

« Vous savez comment l’on présente désormais la Wallonie au Canada ? Une région pauvre où l’on parle le français.  » Vincent Reuter, administrateur délégué de l’Union wallonne des entreprises (UWE), fait preuve d’un humour cynique lorsqu’il évoque sa rage de voir la majorité régionale PS-CDH mener jusqu’au bout sa fronde contre le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (Ceta).  » Nous sommes les seuls en Europe à s’y opposer, peste le patron des patrons. Cela signifie donc que tous les autres Etats membres sont incapables de lire un traité convenablement ou de déceler les chausse-trappes ? Franchement… Bien sûr, les préoccupations exprimées en matière sociale ou environnementale sont valables. Mais à nos yeux, le traité y répond déjà.  »

 » Une position peu réaliste  »

Dans les milieux patronaux, mais aussi à droite du spectre politique francophone et en Flandre, le cavalier seul wallon contre le traité passe mal. Paul Magnette est présenté comme le  » fossoyeur de la Belgique « . Son attitude confirme la thèse des deux démocraties, plaide la N-VA, qui, au fond, se frotte les mains. En chassant sur les plates-bandes du PTB, le ministre-président wallon positionnerait le PS  » plus à gauche que Syriza « .

 » La position wallonne m’inquiète pour trois raisons, souligne l’économiste Bruno Colmant, qui s’exprime en tant que membre de l’Académie royale de Belgique. Tout d’abord, les conséquences économiques seront très sévères pour la Wallonie, la Belgique dans son ensemble et davantage encore pour la Flandre : 90 % des exportations canadiennes passent par le port d’Anvers. Ensuite, au niveau institutionnel belge, cela va aggraver la division nord-sud. Surtout, c’est une position archaïque et peu réaliste dans un monde qui se globalise et alors que la Wallonie a absolument besoin de capitaux étrangers. Je suis d’avis qu’il faut embrasser la mondialisation, plutôt que la rejeter. En outre, je ne pense pas qu’avec son attitude, la Wallonie va modifier la philosophie des traités internationaux ou la réalité du monde.  »

 » Rester en dehors du système des traités, ce n’est certainement pas la meilleure manière de se protéger « , affirme Vincent Reuter. Tant l’économiste que le patron des patrons pensent que l’attitude d’isolement wallonne ne restera pas sans représailles.  » Il ne faut pas croire qu’après avoir dit « non », on va retourner à nos affaires comme avant « , clament-ils. La Belgique risque de perdre des contrats avec le Canada ; une entreprise canadienne comme Bombardier, installée en Flandre, pourrait remettre en question ses engagements, tandis que l’Union européenne aurait fait état de possibles conséquences sur d’autres dossiers – on songe aux fonds européens, notamment. Benoît Lutgen, président du CDH, n’a pas hésité à dénoncer des  » comportements de délinquant politique « .

Pierre-Yves Jeholet, chef de groupe MR au parlement wallon, ne décolère pas.  » C’est vrai, les Wallons ont peur de l’avenir dans un monde déboussolé et l’Europe ne répond pas aux attentes des citoyens, admet-il. Mais le ministre-président Paul Magnette joue sur les peurs. C’est du populisme de gauche, dans une logique électoraliste !  » Le libéral dénonce un  » simulacre de démocratie  » au parlement wallon, qui n’a pas été associé aux dernières décisions gouvernementales. Il fustige l’attitude wallonne à l’égard du Canada alors que la Région a déjà signé des traités avec  » la Corée du Sud ou le Nicaragua  » tout en commerçant des armes avec l’Arabie saoudite. Et il s’interroge non sans malice sur l’attitude  » incompréhensible du CDH, avec un président de parlement, André Antoine, qui parle comme un simple député « .  » Avec des positions archaïques comme celles-là, la Wallonie n’a pas d’avenir « , lance-t-il.

 » Une revanche de la démocratie  »

CETA: La Wallonie, pionnière ou archaïque ?
© DR

Dans le camp des partisans du  » non  » au Ceta, on hausse les épaules face à ces accusations selon lesquelles la Wallonie s’alignerait sur le Cuba d’antan, voire sur l’URSS.  » Tout ce qui est excessif est insignifiant, argumente Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11. L’homme, grand spécialiste du combat altermondialiste au coeur duquel il est engagé depuis longtemps, s’amuse lorsqu’on lui demande s’il a déjà acheté son tee-shirt à l’effigie de Paul Magnette, qui fleurissent :  » Je suis trop sobre pour cela.  » Mais sur le fond, il salue cette  » revanche de la démocratie « .  » Ce qui est plutôt difficile à comprendre, c’est pourquoi le gouvernement wallon est à ce point isolé « , note-t-il. En quelques semaines, ce dernier est devenu un symbole de résistance dans toute l’Europe, jusqu’au coeur d’une France de gauche secouée par la campagne des présidentielles : la journaliste française Natacha Polony a publié une chronique intitulée  » Magnette président !  » tandis que le quotidien Libération ornait sa Une d’un dessin tiré d’Astérix :  » Vive la Wallonix « .

 » Le Ceta pose en réalité plusieurs problèmes et il est d’autant plus important de les régler qu’il s’agit d’un traité de la nouvelle génération, appelé à en inspirer d’autres « , insiste Arnaud Zacharie. Le TTIP, notamment : ce traité de libre-échange avec les Etats-Unis revêt une autre ampleur et ses négociations, suspendues en raison des réticences françaises et allemandes, pourraient recevoir un coup de fouet en cas de signature du Ceta.  » L’une des principales pierres d’achoppement, c’est l’arbitrage des différends entre les entreprises et les Etats, inscrit dans le traité et dénoncé par des associations de magistrats en Europe « , souligne le secrétaire général du CNCD-11.11.11. Ce dernier minerait la base de nos démocraties, dont les systèmes judiciaires constituent un pilier. Et offrirait la possibilité aux multinationales de bousculer des pans entiers de législations nationales.

Si les négociations ont accouché d’un texte dont la finalité est purement libre-échangiste, enchaîne Arnaud Zacharie, c’est parce qu’il a été négocié par des ministres du Commerce n’ayant guère de vision sur les droits sociaux ou environnementaux. Pas par des présidents, ni des Premiers ministres, en charge de l’intérêt général.  » Or, la mobilisation wallonne a ceci d’important qu’elle pose la question de l’équilibre entre l’intérêt général et les intérêts privés des multinationales.  »  » C’est la victoire de tous ceux qui luttent depuis des décennies contre les volontés de dérégulation de la finance et de l’économie défendues par les libéraux « , acquiescent les coprésidents Ecolo Zakia Khattabi et Patrick Dupriez. Syndicats, associations, mutuelles, partis politiques… : le front des résistants wallons est large.

Derrière le dossier Ceta, la polarisation de la politique francophone est plus vivante que jamais. Comme le reflet d’un système belge déjà largement confédéral.

 » Une quête progressiste  »

En France, la journaliste Natacha Polony n'a pas hésité à clamer
En France, la journaliste Natacha Polony n’a pas hésité à clamer « Magnette Président! »© Isopix

Alors, archaïque, la Wallonie ? Ou à la pointe d’un nécessaire combat progressiste ?  » Tout dépend de ce que l’on entend par « progressiste » « , entame Michel Hermans, politologue à l’université de Liège (ULg) et spécialiste de l’intégration européenne. La réponse, en réalité, se situe au milieu des deux. Tout en nuances.  » La mondialisation est inéluctable et contient certainement une dimension de progrès, souligne l’universitaire. On ne peut d’ailleurs plus reculer, sauf à retourner à l’âge de la pierre. Mais si on comprend bien le discours de Magnette et Di Rupo, il ne s’agit pas d’un appel à supprimer les relations internationales, mais bien à tenir compte davantage de l’humain. Il faut reconnaître que l’intégration européenne s’est concentrée jusqu’ici sur les marchandises et les capitaux, moins sur les personnes.  » En ce sens, la démarche du PS et du CDH en Wallonie s’inscrit dans une quête de progrès. Pas d’isolement.

C’est d’ailleurs là le prolongement du combat altermondialiste né à la fin des années 1990 dans les rues de Seattle, en marge d’un sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et qui reste toujours d’actualité.  » Cela fait plus de quinze ans que les accords multilatéraux de Doha, négociés au sein de cette organisation, restent globalement au point mort, relève Michel Hermans. Voilà pourquoi nous en sommes revenus à de tels traités bilatéraux, en attendant que les discussions avancent. On s’y attaque à des points délicats, dont ce fameux arbitrage, qui marquent un recul par rapport aux critères démocratiques. C’est la preuve qu’au coeur d’une démarche de progrès, il y a des évolutions rétrogrades. L’opposition de la Wallonie est saine quand elle rappelle que les citoyens ont leur mot à dire.  »

 » C’est un blocage assez légitime, appuie Min Reuchamps, politologue à l’UCL. Sur la forme, tout d’abord, parce que les Flamands ont été les premiers à demander un cadre institutionnel permettant aux entités fédérées de prendre des attitudes comme celles-là, quitte à ce que cela s’oppose au gouvernement fédéral. Sur le fond, ensuite, parce que le Ceta revêt une importance d’autant plus grande que le TTIP arrive dans la foulée. D’une certaine façon, c’est la revanche des parlements.  » La Wallonie est-elle, dès lors, le fer de lance du progressisme ?  » C’est un concept qui évolue, rétorque Min Reuchamps. En Belgique, celui qu’on nommait le Parti du progrès et de la liberté (PVV, en Flandre, ancêtre de l’Open VLD) était un parti libéral prônant le retrait de l’Etat. Dans le discours actuel, le progrès passerait davantage par un contrôle retrouvé de l’Etat face aux multinationales.  »

Une certitude, selon le politologue de l’UCL :  » C’est une belle négociation politique, au sens noble du terme « . Son homologue liégeois y voit une  » bagarre entre le PS et le MR « , mais pas nécessairement dans le sens que l’on croit. Oui, les libéraux cherchent à mettre en évidence la responsabilité wallonne dans l’isolement de la Belgique, raison pour laquelle le Premier ministre Charles Michel a insisté plusieurs fois sur la  » politique de la chaise vide  » du gouvernement wallon. Mais en même temps, le MR laisse faire en se méfiant, car il sait combien la population wallonne peut adhérer au franc-parler socialiste dans ce dossier.  » Et il ne faut pas oublier que, dans le contexte belge, le MR a besoin d’un PS fort face au PTB « , insiste Michel Hermans. Pour gérer ensemble, demain, une Région à l’avenir incertain.

L’isolement de la Wallonie, dans cette confrontation devenue belgo-belge, ne se décode dès lors pas uniquement avec des noms d’oiseaux et des allusions au passé communiste. Entre les accusations de ringardise et les fiertés progressistes, une troisième voie existe.

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