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Ces djihadistes qui menacent l’Europe

Le Vif

Alors que la nébuleuse des groupes islamistes armés étend son emprise de la Syrie à l’Irak, le nombre de ses recrues venues d’Europe progresse dangereusement. Avec le risque de voir surgir demain de nouveaux Merah ou Nemmouche.

EIIL. Ces quatre lettres pour « Etat islamique en Irak et au Levant » cristallisent l’inquiétude des services de renseignement occidentaux. La menace est double : l’émergence d’une zone entre l’Irak et la Syrie aux mains des islamistes les plus radicaux et la mise en oeuvre de campagnes d’attentats en Occident. Rivale d’Al-Qaeda au point de lui faire de l’ombre, EIIL s’est fait un nom par la terreur qu’elle inspire, à force de décapitations et d’exécutions de masse filmées et diffusées sur Internet. Or, cette organisation terroriste est en passe de se tailler directement un territoire autonome, riche en hydrocarbures.

Une fois ce sanctuaire stabilisé, les nouveaux maîtres de la région pourraient être tentés de viser l' »ennemi lointain », c’est-à-dire les démocraties occidentales, par le biais de djihadistes formés par leurs soins. L’attaque du Musée juif de Bruxelles, le 24 mai, qui a fait quatre morts, est-elle un prélude ? Elle a en tout cas été commise par un Français, Mehdi Nemmouche, lié à l’EIIL.

La guerre civile syrienne sert de creuset au djihad armé. La plupart des combattants enrôlés au sein des multiples organisations djihadistes sont originaires du Moyen-Orient et du Maghreb. Mais, au cours des six derniers mois, l’arrivée d’Européens, notamment de Français et de Belges, s’est brutalement accélérée. Des volontaires venus affronter le régime de Bachar el-Assad, mais parfois utilisés de l’autre côté de la frontière : 2 des 31 morts français recensés depuis 2011 ont été tués au cours d’opérations-suicides en Irak. « Le taux de mortalité progresse à un rythme élevé, soulignent les services de renseignement, preuve que les Français sont désormais en première ligne. »

Une discipline de fer

Ces trois dernières années, « plus de 12 000 » recrues en provenance de plus de 80 pays sont arrivées en Syrie pour rallier les différents groupuscules, selon une récente enquête de The Soufan Group (TSG), qui fournit des études sur le terrorisme aux gouvernements (1).

« La Syrie a vu affluer plus de combattants étrangers que l’Afghanistan en dix ans de guerre, observe Gilles de Kerchove, coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme. Pour s’y rendre, il suffit d’acheter un billet d’avion bon marché pour la Turquie, puis d’essayer de trouver un réseau de passeurs pour rejoindre le front. »

Une fois sur place, la grande majorité des recrues occidentales (80 % selon certaines estimations) rallie l’EIIL, pour des raisons à la fois idéologiques et pratiques. La faction islamiste séduit les candidats au djihad par sa radicalité. Et elle contrôle les zones frontalières de la Turquie.

L’EIIL sait gérer les nouveaux arrivants européens. Elle accepte qu’ils s’expriment dans leur langue d’origine, notamment sur les réseaux sociaux. Cependant, le groupe se distingue par une discipline de fer. Il faut prêter allégeance et renoncer à partir de son plein gré. « Il semblerait que l’EIIL confisque systématiquement les passeports de ses recrues pour les empêcher de s’enfuir », rapporte la vice-procureur Camille Hennetier, chargée de la lutte antiterroriste au parquet de Paris.

Une fois passé les interrogatoires destinés à détecter d’éventuels espions, la plupart des volontaires se répartissent selon des critères linguistiques. Ainsi deux katibas (bataillon islamiste) francophones ont-elles été repérées. « Elles rassemblent notamment des Français et des Belges. L’une appartient à l’EIIL, l’autre au Front al-Nosra, proche d’Al-Qaeda », indique une source française issue de la communauté du Renseignement.

Depuis janvier, les deux factions rivales sunnites s’affrontent pour l’hégémonie au sein du mouvement djihadiste. Al-Qaeda a adoubé le Front al-Nosra, devenu son bras armé en Syrie. Cette guerre dans la guerre n’est pas sans effet sur les volontaires occidentaux venus prêter main-forte au djihad.

Thomas Fiquet, substitut du procureur chargé des filières syriennes au parquet de Paris, évoque ainsi une situation ubuesque : « Deux Français sont partis combattre côte à côte le régime d’Assad. Mais l’un d’entre eux est noir. C’est la raison pour laquelle, à la frontière turco-syrienne, il a été séparé de son ami par les passeurs. Quelque temps plus tard, les deux recrues se sont retrouvées dans le même secteur combattant. L’un avait été enrôlé à Al-Nosra, l’autre à l’EIIL. Ils étaient devenus ennemis. »

Dans l’immédiat, la menace principale pour l’Europe vient d’un troisième groupe, oeuvrant à l’arrière. Le Renseignement français a en effet détecté des camps d’entraînement, dûment cartographiés par satellite, dans le nord de la Syrie. Leurs dirigeants figurent au nombre des vieilles connaissances du terrorisme international. Il y a peu encore, ceux-ci exerçaient dans les zones tribales, aux confins de l’Afghanistan et du Pakistan. C’est là, à Miranshah, que le tueur toulousain Mohamed Merah avait été formé en l’espace de deux semaines en 2012.

Le même schéma semble donc se reproduire dans le nord de la Syrie. Bon nombre de responsables de la nébuleuse Al-Qaeda se sont implantés dans cette région, désormais plus sûre à leurs yeux. Sous contrôle des islamistes, elle n’est pas, pour l’instant, soumise aux bombardements des drones américains.

Ces « cadres » en profitent pour fanatiser des candidats aux attentats suicides en Europe et les préparer au passage à l’acte, a indiqué au Figaro le patron de l’Unité de coordination française de la lutte antiterroriste (Uclat), Loïc Garnier. Les futurs terroristes sont rigoureusement sélectionnés. Leur profil doit être « européano-compatible », leur nationalité correspondre au pays cible, dont ils parlent la langue et possèdent le passeport. Une fois formés à l’usage des explosifs, ils présentent le risque d’être autant de Merah ou de Nemmouche en puissance. Des assassins solitaires, se tenant en marge des réseaux traditionnels, éloignés de mosquées très surveillées, répondant aux préceptes du djihad individuel préconisé par Abou Moussab al-Souri (« le Syrien »), dès le début des années 2000.

« Ce mode de fonctionnement quasi autarcique rend donc la surveillance plus compliquée, reconnaît un expert du renseignement. D’autant que la plupart des recruteurs se trouvent en Syrie : ils ne font pas partie de réseaux structurés implantés chez nous comme c’était le cas dans les années 1990. »


Par Pascal Ceaux et Eric Pelletier, avec Anne Vidalie

(1) Foreign Fighters in Syria, par Richard Barrett, juin 2014.

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