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Ce qu’il faut savoir sur le « Muslim Ban » de Trump

Le Vif

L’interdiction de territoire pour les ressortissants de 7 pays, dits musulmans, a fait de nombreux remous ce week-end. Suscitant l’indignation dans le monde, mais aussi aux États-Unis où la révolte s’organise et la colère monte. Topo d’un week-end chahuté.

Vendredi, Trump signait un décret anti-immigration. Celui-ci interdit pour une durée de 90 jours l’entrée du pays aux ressortissants de 7 pays à majorité musulmane soit l’Irak, l’Iran, le Yémen, la Libye, la Syrie, le Soudan et la Somalie. Seule exception, les ressortissants détenteurs de visas diplomatiques et officiels et qui travaillent pour des institutions internationales. Dans la foulée il a aussi suspendu pour quatre mois, soit 120 jours, l’accueil de réfugiés et de façon indéfinie pour les réfugiés syriens. Un haut responsable de l’administration Trump a expliqué que le président entendait mettre ainsi en place une politique d’immigration qui évite aux États-Unis de subir des attentats comme ceux qui ont frappé la France, l’Allemagne et la Belgique ces deux dernières années. « Nous ne voulons pas voir se reproduire à l’intérieur des États-Unis une menace large et permanente d’un terrorisme domestique multidimensionnel et multigénérationnel qui deviendrait une donnée permanente de la vie américaine ».

Dès vendredi soir, des voyageurs ont été placés en détention à leur arrivée malgré des visas en règle. Très vite, la révolte s’est organisée et des associations ont commencé à se mobiliser à la fois sur le plan légal en déposant des plaintes et en organisant dès le samedi des manifestations. Surtout qu’avec la multiplication des arrestations, l’absurdité de certains cas laisse beaucoup d’observateurs perplexes. Un couple d’octogénaire, pourtant résidents permanent ou encore un enfant de 5 ans en feront les frais. Ils seraient entre 100 et 200, selon les médias américains. L’impact du décret se fait aussi sentir au-delà des frontières puisque des passagers de nationalités des sept pays visés ne pourront embarquer sur des vols à destination des États-Unis. Ce fut notamment le cas à Amsterdam, Paris ou encore Vienne.

Ce qu’ils sont de plus en plus à nommer, un « muslim ban » – soit le bannissement des musulmans ou un décret antimusulmans – a mis en colère de nombreux Américains qui ont envahi peu à peu la rue et les aéroports pour faire entendre leur colère. Des milliers de manifestants se sont rassemblés à Washington, New York, Boston et dans d’autres villes des États-Unis. « Les réfugiés sont les bienvenus ! », ont par exemple scandé quelque 10.000 personnes dans un parc à la pointe de Manhattan à New York. Des élus démocrates se sont joints au rassemblement. « C’est le début de la dégradation de nos libertés civiques et de nos droits constitutionnels, et nous savons où mène cette route », a lancé le maire de New York, Bill de Blasio. Des milliers de manifestants se sont aussi fait entendre sous les fenêtres du président Trump dans le parc de la Maison Blanche à Washington. « S’il a fait ça pendant ses sept premiers jours, qui sait ce qui nous attend dans les quatre prochaines années », a déclaré une Serbe présente aux États unis depuis 10 ans, Sonja Davidovic, 37 ans.

Samedi soir, première victoire des opposants : une juge fédérale de New York saisie en urgence donne raison aux associations et interdit au gouvernement d’expulser les voyageurs interpellés. Sauf que le jugement ne semble pas appliqué partout. Il y aurait au moins eu trois personnes expulsées depuis JFK, selon un avocat chargé de leur défense.

Dimanche matin le département de la Sécurité intérieure a fait savoir qu’il se conformerait aux décisions de la justice, mais n’en continuerait pas moins à appliquer le décret. Ce qui veut dire que les ressortissants des pays concernés par le décret demeurent interdits de séjour et se verraient refuser l’accès au vol en direction des États-Unis même s’ils ont un visa.

Le cas des résidents permanent sera évalué de façon individuelle

Depuis dimanche soir, l’administration américaine a d’ailleurs officiellement clarifié la situation: ils auront le droit d’embarquer à destination des États-Unis et bénéficient d’une exemption. Les Américains à double nationalité également. Reste la question des binationaux, par exemple les Canado-Iraniens ou Franco-Syriens. Samedi, le bureau du premier ministre Justin Trudeau a annoncé que le décret ne changerait rien pour les Canadiens. Ottawa est allé plus loin en annonçant que le Canada accueillerait tous ceux refoulés du voisin américain. D’autres capitales sont entrées dans des discussions avec Washington pour obtenir des clarifications, ajoutant à la confusion. Londres a ainsi annoncé que ses ressortissants binationaux ne seraient pas concernés, sauf s’ils voyageaient depuis les pays ciblés.

Malgré l’opposition affichée des ministres de la Justice de seize Etats fédérés, représentant près d’un tiers de la population américaine, qui ont promis de « le combattre avec tous les moyens à leur disposition », le fond du décret de Donald Trump a peu de chance d’être jugé illégal, selon le professeur de droit à l’université George-Washington, Jonathan Turley, interviewé par Libération : « Le droit américain donne un pouvoir considérable au président sur ce sujet ». L’Immigration and Nationality Act de 1952 est même limpide sur le sujet : « A chaque fois que le président juge que l’entrée de tout étranger ou catégorie d’étrangers aux États-Unis serait préjudiciable aux intérêts des États-Unis, il peut, par proclamation, et pour une période qu’il juge nécessaire, suspendre l’entrée de tout étranger ou toute catégorie d’étrangers. »

Avec la loi de son côté, Trump est donc apparu serein samedi en affirmant que « Pour que les choses soient claires, il ne s’agit pas d’une interdiction visant les musulmans, comme les médias le rapportent faussement », a déclaré M. Trump dans un communiqué. « Cela n’a rien à voir avec la religion, il s’agit de terrorisme et de la sécurité de notre pays », a-t-il dit. Comme son entourage le précise, le milliardaire républicain n’a fait qu’appliquer ses promesses de campagne, comme lors de la signature toute la semaine passée de décrets sur la santé, l’immigration clandestine, la lutte anti-jihadiste ou le pétrole. Bref, le président américain est même plutôt content de lui. D’autant plus qu’il pense avoir envoyé un signal fort à sa base en montrant qu’il transformait en actes ses promesses de campagne.

Préparé dans l’urgence ?

L’entrée en vigueur immédiate de cet ordre présidentiel a provoqué une situation chaotique, les agents de l’immigration n’ayant apparemment pas tous reçu des consignes précises et harmonisées sur les multiples cas de figures possibles. Le porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer a justifié la vitesse d’exécution dans une interview sur la chaîne ABC dimanche, en expliquant que « l’administration ne pouvait pas télégraphier ses intentions avant l’entrée en vigueur du décret car cela aurait provoqué une venue massive de personnes de ces pays avant ce qui aurait posé des problèmes de sécurité ». Il a assuré que les responsables des différentes agences concernées comme les douanes et les services d’immigration, « ont été dûment informés avant l’entrée en vigueur du décret et que des câbles continuent à être transmis par le département d’Etat ». Un responsable de la Maison Blanche avait également expliqué samedi à la presse sous le couvert de l’anonymat, que « les conseillers du président avaient été en contact pendant plusieurs semaines au plus haut niveau avec les départements d’Etat et de la Sécurité Intérieure » pour préparer le décret, répondant aux critiques, même dans les rangs de la majorité républicaine, selon lesquelles M. Trump et ses conseillers n’avaient pas suffisamment consulté les instantes compétentes au sein du gouvernement fédéral. « Toutes les personnes qui devaient savoir ont été informées », a affirmé ce responsable. Mais le ministère de la Justice, dont les juristes et experts constitutionnels participent habituellement à la rédaction de tout décret présidentiel, ont été exclus du processus d’élaboration du décret, selon CNN –ce que la Maison Blanche nie.

De nombreux spécialistes estiment cependant la mesure contre-productive et donnant justement des « biscuits » à la propagande terroriste. Comme la montré la journaliste américaine Rukmini Callimachi sur son compte Twitter en publiant des captures d’écran de sites jihadistes évoquant le décret. Et ils ne sont pas les seuls puisqu’au-delà des condamnations internationales, de Téhéran au Caire en passant par les grands pays européens (voir encadré en bas de l’article), le président républicain est critiqué de toutes parts. Des ONG, des juristes, l’opposition démocrate et quelques représentants et sénateurs républicains comme Rob Portman ont fustigé cet ordre présidentiel jugé précipité et contraire aux valeurs américaines et en violation du premier amendement de la Constitution qui exclut toute forme de discrimination, religieuse, ethnique ou autre. Plus de 4.000 professeurs d’université aux Etats-Unis ont co-signé une lettre s’opposant à cette mesure s’inquiétant qu’elle pourrait devenir permanente.

Fait rare, les grosses compagnies s’en mêlent

Hébergement gratuit et emplois aux immigrés interdits d’entrée aux Etats-Unis: Airbnb et Starbucks apportent la première réponse concrète des grandes entreprises américaines au controversé décret anti-immigration pris par le président Donald Trump, qualifié d' »injuste » par des grands patrons. La chaîne de cafés Starbucks va recruter 10.000 réfugiés dans les cinq prochaines années, s’est engagé par écrit dimanche son PDG Howard Schultz. Sont concernées des personnes ayant fui les guerres, les persécutions et les discriminations dans les 75 pays où est présent le groupe américain. Aux États-Unis, Starbucks va commencer par recruter les réfugiés ayant travaillé pour l’armée américaine, comme interprètes par exemple. Airbnb propose de son côté un hébergement gratuit aux personnes affectées, réfugiés comme voyageurs bloqués dans les aéroports par ces restrictions. « Airbnb fournit un hébergement gratuit aux réfugiés et à toute personne interdite d’entrée aux États-Unis », précise sur son compte Twitter Brian Chesky, le PDG, promettant des annonces supplémentaires. « Contactez-moi si vous avez besoin d’hébergement », conclut-il. Le groupe entend recourir à son programme de catastrophes naturelles, qui prévoit que des hôtes proposent un logement à des personnes déplacées. Dans le même ordre d’idée, Starbucks s’est engagée à rembourser les frais versés par les employés faisant partie du programme DACA, mis en place par le précédent président américain Barack Obama en 2012, qui a permis à plus de 750.000 clandestins arrivés mineurs sur le territoire américain d’obtenir des permis de séjour et de travail. Lyft, le service de réservation de voitures sans chauffeur, dont un des actionnaires est General Motors, a promis de donner 1 million de dollars à l’organisation de défense des droits civiques American Civil Liberties Union (ACLU), qui a attaqué devant la justice américaine ces restrictions à l’immigration.

Son concurrent Uber, très critiqué la veille sur les réseaux sociaux pour sa réaction initiale jugée molle, s’est engagé à aider les chauffeurs affectés, tandis qu’Elon Musk, PDG de Tesla, a demandé aux abonnés de son compte Twitter de lui faire des suggestions sur les amendements possibles au décret migratoire. Après les patrons de géants de la Silicon Valley samedi, l’inquiétude a gagné les dirigeants de multinationales basées sur la côte Est. Jeffrey Immelt, le PDG du conglomérat industriel General Electric (moteurs d’avions, turbines…), dont de nombreux employés sont touchés, affirme que ceux-ci « sont importants pour notre succès ».

La banque JPMorgan Chase a commencé pour sa part à examiner avec ses salariés titulaires de visas ce qui pouvait être fait, indique le PDG Jamie Dimon, leur promettant un soutien « indéfectible ». MM. Dimon et Immelt font partie avec Elon Musk du forum de grands patrons choisis par Donald Trump pour le conseiller sur sa politique économique.

Critiques de nombreux dirigeants dans le monde

– IRAN: le décret constitue une « discrimination collective » et sera perçu « comme un grand cadeau aux extrémistes et à leurs protecteurs ». Il « aide les terroristes à recruter en creusant la fracture initiée par les démagogues extrémistes », a tweeté dimanche le chef de la diplomatie Mohammad Javad Zarif. L’Iran a décidé d’appliquer la réciprocité et remis une protestation écrite à l’ambassadeur suisse qui représente les intérêts américains en Iran.

– SOUDAN: le ministère des Affaires étrangères a déploré ce décret après la levée « historique » des sanctions économiques américaines le 13 janvier.

– YEMEN: le « gouvernement » de la rébellion chiite non reconnu par la communauté internationale a jugé qu’il était « illégal et illégitime » de « classer le Yémen et ses citoyens comme étant source de terrorisme ou d’extrémisme ».

– IRAK, SOMALIE, SYRIE, LIBYE: n’avaient pas réagi dimanche à la mi-journée mais le Hachd al-Chaabi (Mobilisation populaire), importante coalition para-militaire irakienne participant à la bataille de Mossoul contre les jihadistes de l’Etat islamique (EI), a appelé Bagdad à refuser désormais l’entrée des Américains en Irak. Des députés irakiens ont aussi réclamé la réciprocité.

– LIGUE ARABE: le chef de la Ligue arabe Ahmed Aboul Gheit s’est dit « très préoccupé » après les premières applications du décret du président américain.

– UNASUR: l’Amérique latine va aller vers « plus d’intégration » face à la « menace » que représente la politique migratoire des Etats-Unis, a déclaré Ernesto Samper, secrétaire général de l’Union des nations sud-américaines (Unasur).

– INDONESIE: le pays comptant le plus grand nombre de musulmans au monde a « profondément regretté » le décret.

– UNION EUROPEENNE: la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a affirmé dimanche dans un texte sur les migrants que chacun méritait « le respect » peu importe « sa foi », sans jamais citer, ni même évoquer directement le président américain.

– ALLEMAGNE: la chancelière Angela Merkel « regrette » ce décret et juge qu' »il n’est pas justifié de placer sous une suspicion généralisée des gens en fonction de leur origine ou croyance ».

– FRANCE: le président François Hollande a mis en garde samedi soir M.Trump, lors d’un entretien téléphonique, contre « le repli sur soi » et appelé au « respect » du principe de « l’accueil des réfugiés ».

– GRANDE-BRETAGNE: « nous ne sommes pas d’accord avec ce type d’approche », a affirmé dimanche un porte-parole de la Première ministre. Theresa May avait dans un premier temps refusé de critiquer l’initiative américaine alors qu’un parlementaire de son parti conservateur, né en Irak, avait annoncé ne pouvoir désormais plus se rendre aux Etats-Unis.

– ITALIE: « l’Italie est ancrée à ses propres valeurs », a tweeté dimanche le chef du gouvernement italien Paolo Gentiloni.

– BELGIQUE: « nous sommes en désaccord avec l’interdiction d’accès au territoire pour sept pays musulmans », a déclaré dimanche un porte-parole du Premier ministre Charles Michel.

– PAYS-BAS: Le Premier ministre Mark Rutte, dans un communiqué : « Nous sommes conscients de la possibilité que des terroristes potentiels puissent abuser des procédures d’asile et les services de sécurité ont ici une tâche importante. Dans ce contexte, nous déplorons l’interdiction de voyager décidée aux Etats-Unis pour les habitants de sept pays musulmans et nous la rejetons ».

– SUISSE: Le ministre des Affaires étrangères Didier Burkhalter a souligné dimanche dans un communiqué: « Nous nous sommes toujours opposés à la discrimination des êtres humains en raison de leur religion ou de leur provenance. En ce sens le décret pris aux USA va clairement dans la mauvaise direction ».

– SUEDE : Margot Wallström, ministre des Affaires étrangères, a évoqué dimanche sur sa page Facebook une mesure « profondément regrettable » qui « renforce la défiance et les tensions entre les individus ».

– CANADA: « A ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueillera indépendamment de votre foi », a tweeté samedi le Premier ministre Justin Trudeau. Son bureau affirme avoir reçu des assurances de Washington que les Canadiens possédant la double nationalité ne seraient pas affectés par le décret américain.

– REPUBLIQUE TCHEQUE: le président Milos Zeman s’est distingué en se félicitant du décret, jugeant selon un tweet de son porte-parole que M. Trump « protège son pays, il est soucieux de la sécurité de ses citoyens. Exactement ce que nos élites européennes ne font pas » et que « maintenant nous avons des alliés aux Etats-Unis ».

– POLOGNE : Le ministre des Affaires étrangères Witold Waszczykowski a souligné qu’il était du « droit de tout Etat souverain de fixer sa propre politique d’immigration. Donald Trump n’a pas fermé la porte des Etats-Unis aux réfugiés mais aux immigrants de sept pays musulmans. (…) Il a le droit de le faire », a-t-il dit.

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