Carte blanche

Catalogne, vers une résistible confrontation ?

Ce qui se joue en Catalogne ces jours-ci est loin d’être anodin pour le reste du continent. L’une des Communautés autonomes espagnoles vient de faire sécession via une déclaration unilatérale d’indépendance.

En réponse à ce processus séparatiste, l’Etat central espagnol vient d’utiliser ses pouvoirs constitutionnels pour mettre sous tutelle la Région autonome catalane (Generalitat de Catalunya) et démettre son exécutif. Le dialogue entre Madrid et Barcelone, ou du moins entre le Premier Ministre espagnol Mariano Rajoy et le président démis de la « Generalitat », Carles Puigdemont, est aujourd’hui rompu. Certes, différents aspects de ce litige ont prêté récemment à l’aborder de manière légère. Ainsi la fuite de Puigdemont à Bruxelles, dans la foulée d’une énième sortie malheureuse de Théo Francken, a pu faire passer les fortes tensions hispano-catalanes pour une bien inoffensive blague belge. Mais ne nous y trompons pas ! Nous assistons en ce moment à un conflit qui pourrait s’avérer être le plus intense que l’Europe occidentale ait connu depuis 1945.

Comment en est-on arrivé là ?

Sauf à considérer que le Comté de Barcelone issu de la « Marche d’Espagne » conquise par Charlemagne sur Al-Andalous constituait un état au sens moderne, la Catalogne n’a jamais existé jusqu’à aujourd’hui en tant que pays indépendant. Il y a toutefois déjà eu une proclamation d’un état ou d’une république catalane en 1873, 1931 et 1934 mais toujours dans un contexte particulier et dans le cadre d’une démarche fédéraliste et non sécessionniste, contrairement à la récente déclaration unilatérale d’indépendance. Les trois fois précédentes, la portée de cet acte fut davantage symbolique. Lors de la tentative de 1934, le gouvernement conservateur espagnol réprima les nationalistes catalans et suspendit la « Generalitat ». L’alternance politique rendue possible par la victoire du Front Populaire en 1936 rétablira les institutions autonomes catalanes jusqu’à la conquête de la Catalogne à la fin de la guerre civile par le Général Franco en 1939. Ce dernier, au nom de la grandeur de l’Espagne, réprima fortement le nationalisme catalan jusqu’à interdire la langue catalane durant sa dictature. Après sa mort, les libertés publiques furent rétablies ainsi que l’autonomie des régions et des institutions comme la « Generalitat ». La constitution espagnole de 1978 prévoit le droit à l’autonomie des différentes composantes de l’Etat espagnol ainsi qu’un article permettant de suspendre ce droit si l’entité autonome ne respecte pas « ses obligations » ou porte gravement atteinte « à l’intérêt de l’Espagne ». C’est le fameux article 155 dont on a beaucoup parlé récemment. A noter que cet article s’inspire non du Franquisme, qui ne reconnaissait pas l’autonomie régionale, mais de la constitution de la République fédérale allemande! Un statut spécifique (Estatut) de l’autonomie catalane est adopté l’année suivante par le Parlement et soumis aux Catalans par référendum. Ceux-ci l’approuvent à 88,1%. Le catalan est alors non seulement reconnu comme langue officielle mais aussi comme langue « propre » de la Catalogne. Un nouvel « Estatut » est approuvé en 2010, suite à un accord entre le gouvernement du socialiste Jose Luis Zapatero et le gouvernement de la Generalitat de l’époque. Ce dernier qui allait plus loin en termes d’autonomie est adopté par 73,23% des Catalans. Le Parti Populaire de Mariano Rajoy, alors dans l’opposition, refuse ce nouveau texte et introduit un recours devant le Tribunal constitutionnel. Celui-ci annule plusieurs dispositions de l' »Estatut » en 2010. Ainsi, la référence à la nation catalane est supprimée, le catalan ne peut être la langue « préférentielle » même s’il est obligatoire dans l’enseignement, et la « Generalitat » n’obtient pas la tutelle sur le pouvoir judiciaire catalan. En 2012, le nouveau gouvernement de Mariano Rajoy oppose une fin de non-recevoir à la « Generalitat » qui propose un nouveau pacte fiscal[1]. Ce dernier était inspiré du modèle basque, qui donne à l’autorité autonome des prérogatives étendues en matière de fiscalité. Ces deux échecs dans la recherche d’une autonomie étendue de la Catalogne renforcent progressivement les séparatistes les plus durs qui finissent par organiser un référendum, en toute illégalité, le 1er octobre dernier avec les conséquences que l’on connait.

Et maintenant ?

La succession de ces refus tend à montrer une faible capacité de dialogue dans le chef de celui qui est aujourd’hui encore le Premier Ministre espagnol. Il entend régler les revendications indépendantistes par la force de la loi ou par les forces de l’ordre. Bien sûr, le référendum illégal du gouvernement de Puigdemont était une provocation qui n’allait pas manquer de faire réagir Rajoy de manière forte. Il n’empêche, il y a fort à parier que la répression des autorités espagnoles menée à bien lors de cette journée de scrutin ne va pas apaiser le ressentiment de nombre de Catalans vis-à-vis de Madrid. Pas plus d’ailleurs qu’elle ne va donner une image sympathique d’un gouvernement espagnol dont la notoriété internationale était jusqu’à ce moment principalement due aux affaires de corruptions qui concernent certains de ses membres. Au niveau de la propagande, les indépendantistes catalans semblent indubitablement plus forts que les autorités espagnoles. Rajoy pourrait vouloir assumer jusqu’au bout sa stature de dirigeant ferme et autoritaire face aux sécessionnistes qui veulent briser l’Espagne. La concurrence électorale de « Ciudadanos », la formation politique de centre-droit du Catalan très unioniste Albert Rivera, n’incitera pas Rajoy à faire beaucoup de concessions. Dans ce contexte d’escalade, le nationalisme espagnol est en train de vivre une nouvelle jeunesse dans sa confrontation avec le nationalisme catalan. Dans quelques manifestations unionistes, on a pu revoir des drapeaux franquistes et des saluts fascistes en tête de certains cortèges. Les unionistes cultivent décidément moins bien leur image que les catalanistes. Puigdemont, lors de son arrivée à Bruxelles fin octobre, a bien réitéré son opposition à la violence. Mais quelle sera son autorité depuis la Belgique sur des indépendantistes encore plus radicaux qui sont restés en Catalogne? D’ailleurs dans certains milieux sécessionnistes, on envisage un scénario « à la kosovare » avec un pourrissement de la situation, une accentuation de la répression de l’état central et des réactions internationales favorables suite aux excès répressifs[2]. En sachant que c’est bien l’état espagnol qui dispose aujourd’hui de l’appareil répressif et du monopole de la violence légitime dont rien n’indique qu’il userait avec parcimonie en cas d’escalade dans le conflit.

Quel rôle pour la Belgique?

Notre pays avait peut-être une belle carte à jouer au niveau diplomatique par rapport au conflit catalan. La position du Premier Ministre après le référendum était assez nuancée et encourageait les deux parties à dialoguer. Hélas, le parasitage de la diplomatie belge par les jeux politiciens de certains nationalistes flamands parties prenantes de la majorité gouvernementale a peut-être discrédité le pays dans la perspective d’une initiative internationale en faveur de la reprise du dialogue. Il y a pourtant une urgence démocratique à favoriser la désescalade et à faire en sorte que les élections catalanes prévues le 21 décembre se passent le mieux possible. Le pire peut encore être évité. Si l’indépendance ne semble pas négociable, un cadre favorable à la renégociation d’une nouvelle réforme de l’Etat espagnol et de sa Constitution en allant vers une décentralisation accrue devrait être encouragé. Le Gouvernement belge devrait, à tout le moins, oeuvrer à apaiser les esprits dans le contexte de la mise en place prochaine d’une Commission du Parlement espagnol qui va réfléchir à une réforme Constitutionnelle[3]. Reste à voir si la N-VA qui ne vote pas des réformes de l’Etat en Belgique peut réussir à en faire capoter à l’étranger…

Carlos Crespo, fils d’immigrés espagnols et travailleur de l’associatif.

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