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Cannibalisme et vol de moutons: quand la rumeur enflamme l’Allemagne

Le Vif

Mort imaginaire d’un demandeur d’asile, alerte terroriste précipitée, viol collectif démenti par la police : les rumeurs se multiplient en Allemagne autour des réfugiés, illustrant la fébrilité croissante du pays face aux nouveaux arrivants.

Cette floraison de fables et d’exagérations, amplifiées sur Internet et suscitant à chaque fois une indignation réelle, « ne peut advenir que dans une période où précipitation et émotion se fondent en un dangereux cocktail », estimait jeudi Bild, le quotidien le plus lu d’Europe.

Mercredi, une association berlinoise d’aide aux réfugiés a annoncé la mort d’un candidat syrien à l’asile censé avoir patienté plusieurs jours dans le froid et la neige devant l’administration chargée de l’enregistrement des réfugiés, le Lageso.

Mais alors que la polémique faisait le tour des médias, le bénévole à l’origine de cette allégation a avoué à la police avoir tout inventé. Jeudi après-midi, sur son compte Facebook, il a attribué son mensonge à une soirée très arrosée, sur fond « d’épuisement nerveux ».

Quelles que soient ses explications, cette histoire est « avant tout révélatrice de la situation au Lageso », si chaotique depuis des mois que « de nombreuses personnes ont jugé une telle mort plausible », analyse le quotidien berlinois Tagesspiegel.

Mardi soir, provoquant elle aussi une vaste couverture médiatique, la police de Cologne (ouest) avait annoncé rechercher un homme « originaire du Moyen-Orient » ayant acheté une substance pouvant être « convertie en mélange explosif ».

Polémique jusqu’à Moscou

Le lendemain, les enquêteurs avaient dissipé les craintes d’attaque terroriste, annonçant que le suspect voulait en réalité « fabriquer des stupéfiants ».

Mais l’affaire a eu d’autant plus d’écho que depuis les attentats du 13 novembre à Paris, les autorités allemandes ont plusieurs fois fait état d’un risque d’attentat, à Hanovre (nord) où un match de football a été annulé puis à Munich (sud) le soir du Nouvel An, sans la moindre arrestation ni confirmation par la suite.

Plus délicate encore, parce qu’elle a créé un incident diplomatique entre Berlin et Moscou: la disparition pendant 30 heures d’une adolescente germano-russe le 11 janvier, qui suscite toujours une controverse.

Viol prétendu d’une Germano-russe: elle dormait en fait chez un ami

L’adolescente germano-russe qui avait prétendu avoir été enlevée et violée par des « Méditerranéens » à Berlin a en fait dormi chez un ami allemand, craignant de rentrer chez elle en raison de « problèmes scolaires », a-t-on appris vendredi de source judiciaire. L’histoire de cette jeune fille de 13 ans a créé un incident diplomatique entre l’Allemagne et la Russie, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov ayant accusé Berlin d’avoir « très longtemps dissimulé » des informations sur le dossier.

Cette dernière n’a « pas disparu de son plein gré pendant 30 heures », avait dit le diplomate, une thèse clairement contredite par les nouveaux éléments recueillis par la justice berlinoise qui déjà disait qu’elle n’avait été ni enlevée ni violée. « Nous avons pu reconstruire les données de son portable cassé et recueilli des éléments sur une personne que nous avons pu identifier, un jeune Allemand de souche âgé de 19 ans, une connaissance de la jeune fille de 13 ans », a expliqué à l’AFP Martin Steltner, porte-parole du parquet de Berlin. « La jeune fille a cherché et trouvé refuge chez lui, avec en arrière-plan des problèmes scolaires », a-t-il précisé. La justice a par ailleurs pu établir que la jeune fille avait eu des relations sexuelles consenties, avant sa disparition, avec deux hommes d’une vingtaine d’années, « un ressortissant turc et un Allemand d’origine turque ». Une enquête pour abus sexuels visant ces faits a été ouverte en raison du statut de mineure de la jeune fille, a précisé M. Steltner. L’histoire de la jeune fille a notamment été utilisée par l’extrême-droite allemande pour s’en prendre aux migrants qu’elle qualifie régulièrement de « rape-fugees » (rape signifiant viol en anglais). Les parents de la jeune fille ont toujours affirmé que les autorités avaient fait pression sur l’adolescente pour qu’elle revienne sur ses accusations de viol et d’enlèvement par des étrangers.

M. Lavrov avait lui sous-entendu que les autorités cherchaient à passer l’affaire sous silence à des fins politiques.

Cannibalisme et vol de moutons

Cette suspicion d’omerta s’enracine, pour la Süddeutsche Zeitung, dans les reproches identiques faits à la police de Cologne (ouest) après la vague d’agressions commises au Nouvel An, dont l’ampleur avait mis des jours à émerger.

Le journal énumère par ailleurs une série de fables qui ont prospéré malgré les démentis policiers, avec les réseaux sociaux pour caisse de résonance : dans la seule ville de Messstetten (sud-ouest), qui héberge 3.000 demandeurs d’asile, un supermarché aurait été pillé par des réfugiés, une tête humaine retrouvée dans un champ et des moutons « volés et égorgés ».

Dans le reste du pays, « la plupart des rumeurs tournent autour d’agressions sexuelles », souvent collectives, commises « tantôt sur le chemin de l’école, tantôt dans un parking souterrain », avec des victimes dont on « coupe les oreilles », ajoute le quotidien.

Mais le journal évoque aussi une histoire d' »enfant de 5 ans mangé par des réfugiés », ainsi que celle de la femme de ménage d’un centre de demandeurs d’asile « violée et retrouvée morte dans les toilettes ». « Plus que jamais, nous avons besoin de faits », exhorte Bild.

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