Burundi: situation incertaine après le coup d’état d’un général
Un général burundais a annoncé mercredi la destitution du président Pierre Nkurunziza, en déplacement en Tanzanie pour un sommet régional sur la crise dans son pays, où la situation restait incertaine en fin de journée.
Selon la présidence burundaise, le coup d’Etat, mené par un groupe de
militaires « mutins » a été « déjoué ». Mais il était impossible de savoir
dans l’immédiat qui contrôlait le pays, secoué depuis le 26 avril
par un mouvement de contestation à la candidature de M. Nkurunziza à
la présidentielle du 26 juin. Les manifestations contre un troisième
mandat du chef de l’Etat, au pouvoir depuis 2005, ont été marquées
par de nombreuses violences, qui ont fait une vingtaine de morts.
Des images diffusées sur les réseaux sociaux montraient des
manifestants en liesse dans le centre et les quartiers de la capitale
Bujumbura, fraternisant avec les militaires.
Luc Toussaint, un Belge établi au Burundi depuis six ans contacté
par l’agence Belga, indiquait mercredi après-midi qu’il avait aperçu
de nombreux manifestants en liesse traverser le centre de Bujumbura
alors que cette partie de la ville était encore inaccessible aux
opposants quelques heures plus tôt.
Sur place, l’ambassade de Belgique a conseillé aux ressortissants
belges de regagner leur logement avant la tombée de la nuit et de
rester sur place jusqu’à nouvel ordre.
Un avion de la compagnie Brussels Airlines à destination de
Bujumbura a quant à lui été directement envoyé à Nairobi, sa destination
finale. L’espace aérien du Burundi est fermé sur ordre des putschistes
depuis 16h30. Les 36 passagers qui devaient se rendre dans la
capitale burundaise ont le choix de rester au Kenya ou de revenir à
Bruxelles, a indiqué Brussels Airlines.
Mercredi, un haut gradé loyaliste a affirmé que des « tractations »
étaient en cours entre loyalistes et putschistes pour trouver une
solution qui préserve les « intérêts nationaux ». Les deux camps sont
« d’accord pour ne pas verser le sang des Burundais », a assuré cet
officier supérieur.
Selon la présidence tanzanienne, le président Nkurunziza a quitté
en fin d’après-midi la capitale économique tanzanienne Dar es Salaam
pour Bujumbura, où le chef des putschistes, le général Godefroid
Niyombare, a ordonné la fermeture des frontières et de l’aéroport.
Le président Nkurunziza était arrivé dans la matinée à Dar es
Salaam pour assister à un sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la
Communauté est-africaine (Burundi, Kenya, Ouganda, Rwanda, Tanzanie).
Ses homologues tanzanien Jakaya Kikwete, kényan Uhuru Kenyatta,
ougandais Yoweri Museveni et rwandais Paul Kagame, qui ont discuté sans
lui de la situation au Burundi, ont condamné le coup d’Etat en
cours. Et ils ont demandé le report des scrutins législatif prévu le 26
mai et présidentiel le 26 juin, estimant que « les conditions
n’étaient pas propices à des élections.
Du côté de la présidence, le principal conseiller en communication
de M. Nkurunziza, Willy Nyamitwe, a assuré que « la tentative de coup
d’Etat avait été déjouée » et que les militaires putschistes étaient
« recherchés par les forces de l’ordre et de sécurité » pour être
« traduits en justice ».
En Belgique, le vice-Premier ministre et ministre de la Coopération
au développement Alexander De Croo a déclaré que la Belgique usera
de tous les leviers dont elle dispose, aussi bien sur le plan
diplomatique que dans la coopération au développement, pour arrêter
l’escalade de la violence au Burundi et permettre aux Burundais de se
prononcer sur l’avenir de leur pays à un moment où il n’y a pas de
violence et où la population n’est pas mise sous pression.
A Bujumbura, des soldats loyalistes protégeaient toujours les
locaux de la radio-télévision nationale et ont tiré un moment en l’air
pour disperser des centaines de manifestants qui s’en approchaient en
chantant l’hymne national, les faisant reculer de quelques centaines
de mètres, selon un journaliste de l’AFP.
Le rapport de force au sein de l’armée entre putschistes et
loyalistes restait inconnu en fin de journée, mais les militaires, qui ont
joué un rôle modérateur depuis le début de la contestation,
bénéficient de la sympathie de nombreux manifestants, à l’inverse de la
police, accusée d’être au service du parti au pouvoir et de pactiser
avec sa milice Imbonerakure.
La tentative de coup d’Etat est menée par un compagnon d’armes du
chef de l’Etat au sein de l’ex-rébellion hutu, le Cndd-FDD, devenu le
parti au pouvoir depuis la fin de la longue guerre civile (1993-2006).
« Le président Pierre Nkurunziza est destitué de ses fonctions, le
gouvernement est dissous », a annoncé mercredi après-midi sur les
ondes de la radio privée Insaganiro le général Godefroid Niyombare. Il
avait été limogé de la tête des services de renseignement en février
par le président après lui avoir déconseillé de briguer un troisième
mandat, jugé inconstitutionnel par ses adversaires.
« Il est institué un comité pour le rétablissement de la concorde
nationale, temporaire et ayant pour mission entres autres le
rétablissement de l’unité nationale » et « la reprise du processus électoral
dans un climat serein et équitable », a ajouté le général Niyombare,
précisant qu’il prenait la tête du comité. « Il est demandé à toute la
population de respecter la vie et les biens d’autrui », a poursuivi
le général Niyombare.
Ce message a ensuite été diffusé sur les antennes de la radio
privée RPA (Radio publique africaine), la plus écoutée du pays, qui
émettait à nouveau mercredi après-midi après avoir été fermée depuis le
27 avril par les autorités qui l’accusaient de relayer les appels à manifester.
Le général Niyombare est, dans son pays, une personnalité respectée
et est considéré comme un homme de dialogue. Après la guerre, il
était devenu chef d’état-major adjoint, puis chef d’état-major de
l’armée burundaise. Nommé en décembre 2014 à la tête du Service national
de renseignements (SNR), il avait été limogé moins de trois mois
plus tard.
Les opposants à un troisième mandat du président burundais avaient
porté mercredi matin la contestation au coeur de Bujumbura,
sanctuarisé par la police depuis le début des manifestations. Plusieurs
centaines de manifestants, dont beaucoup de femmes, ont réussi pour la
première fois à se rassembler sur la symbolique place de
l’Indépendance, au centre de la capitale, avant d’en être délogés par la police
et de jouer longtemps au chat et à la souris avec les policiers.
Malgré les pressions internationales, les manifestations et une
brutale répression des forces de l’ordre, le camp présidentiel et les
contestataires restent arc-boutés sur leurs positions, une impasse
qui suscite l’inquiétude pour ce pays à l’histoire récente jalonnée de
massacres ethniques.