François Compaoré, frère du président déchu burkinabè Blaise Compaoré © AFP

Burkina: le frère de Blaise Compaoré arrêté en France

Le Vif

François Compaoré, frère du président déchu burkinabè Blaise Compaoré, a été arrêté dimanche à l’aéroport parisien de Roissy dans l’enquête sur l’assassinat en 1998 du journaliste Norbert Zongo, a-t-on appris de sources concordantes, confirmant une information de Jeune Afrique.

Arrêté alors qu’il arrivait d’Abidjan (Côte d’Ivoire), François Compaoré, 63 ans, s’est vu notifier un mandat d’arrêt international délivré par le Burkina, ont confirmé une source aéroportuaire et son avocat. Il se trouvait dimanche dans les locaux de la police aux frontières et doit être présenté à la justice « sous 48 heures », a déclaré Me Pierre-Olivier Sur.

François Compaoré, un des personnages les plus impopulaires des 27 ans du régime Compaoré, est réclamé par la justice burkinabè depuis mai 2017 dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat d’un journaliste d’investigation, Norbert Zongo, et de trois de ses compagnons.

Il est poursuivi pour « incitation à assassinats », selon l’avocate de la famille Zongo.

François Compaoré « a été entendu trois fois par la commission d’enquête internationale et trois autres fois par une juridiction d’instruction au Burkina, or chacune de ces deux procédures l’a disculpé » dans ce dossier, fait valoir son avocat en France.

« Le pouvoir en place, qui ne parvient pas à retenir de charges contre Blaise Compaoré change aujourd’hui son fusil d’épaule et accuse son frère », estime Me Pierre-Olivier Sur. « Comme dit la fable : « +si ce n’est toi, c’est donc ton frère+ ».

Directeur de publication de l’hebdomadaire L’Indépendant, Norbert Zongo et trois de ses compagnons avaient été retrouvés morts carbonisés dans leur véhicule le 13 décembre 1998 dans le sud du Burkina.

Auteur de plusieurs enquêtes retentissantes dénonçant la mauvaise gouvernance sous le régime Compaoré, M. Zongo travaillait au moment de son assassinat sur la mort du chauffeur de François Compaoré, frère cadet et conseiller économique du président Compaoré surnommé le « petit président ».

La mort du célèbre journaliste avait ouvert une forte crise politique et sociale dans le pays.

François Compaoré a un temps été inculpé de « meurtre et recel de cadavre » après la mort de son chauffeur, mais n’avait jamais été inquiété dans le dossier Zongo avant l’émission de ce mandat d’arrêt.

Il s’est enfui de son pays lors de l’insurrection populaire d’octobre 2014 et a obtenu la nationalité ivoirienne en même temps que son frère.

En décembre 2015, trois ex-soldats du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), l’ancienne garde prétorienne du président Compaoré – dissoute après sa tentative de coup d’Etat mi-septembre 2015 – ont été inculpés par la justice burkinabè dans cette affaire.

L’avocat de la famille « heureux »

L’avocat de la famille de Norbert Zongo s’est dit « heureux » et « soulagé » de l’arrestation de François Compaoré. « Je suis très heureux, très soulagé de le savoir aux arrêts », a déclaré Me Benewendé Sankara à l’AFP, joint par téléphone depuis Abidjan. « Je suis très fier de ce combat pour la justice qui a été mené par tout le peuple burkinabè, et aussi par vous les journalistes ».

L’affaire Zongo, « c’est une quête de vérité et de justice des Burkinabè, qui sont extrêmement attachés à ce dossier », a estimé l’avocat.

François Compaoré « narguait la justice burkinabè », « il doit être extradé vers le Burkina Faso pour répondre devant la justice », a encore affirmé Me Sankara, espérant qu’aucune « argutie juridique, diplomatique ou politique » n’empêche son extradition.

Guy Hervé Kam, porte-parole du Balai citoyen, un mouvement très actif de la société civile burkinabè, s’est déclaré lui aussi « très content de cette arrestation ».

« Une autre phase (de l’affaire) s’ouvre, l’extradition ». « C’est le début des choses sérieuses. Nous espérons avoir la justice sur cet événement (l’affaire Zongo). Nous espérons que les procédures ne feront pas échec à ce que François Compaoré puisse venir au Burkina Faso », a-t-il déclaré à l’AFP.

Le Balai citoyen avait été un des mouvements les plus en pointe dans l’insurrection populaire qui avait chassé du pouvoir le président Blaise Compaoré en octobre 2014.

L’assassinat du journaliste Norbert Zongo

Le journaliste burkinabè Norbert Zongo a été assassiné le 13 décembre 1998, alors qu’il enquêtait sur le meurtre sous la torture de David Ouédraogo, le chauffeur de François Compaoré, frère cadet du président déchu Blaise Compaoré.

La mort du journaliste avait ouvert une crise politique et sociale dans le pays, organisations non gouvernementales et partis d’opposition dénonçant « l’impunité » dont bénéficiaient les auteurs de crimes « proches du pouvoir ».

Directeur de l’hebdomadaire « L’Indépendant », Norbert Zongo était célèbre pour ses positions critiques vis-à-vis du pouvoir.

Journaliste d’investigation reconnu, auteur de plusieurs enquêtes retentissantes démontrant la mauvaise gouvernance sous le régime du président Compaoré, son corps calciné avait été retrouvé dans son véhicule sur une route déserte à Sapouy, à une centaine de kilomètres au sud de Ouagadougou.

Son assassinat, avec trois proches qui voyageaient avec lui, avait provoqué de vives protestations internationales. D’importantes manifestations s’étaient déroulées dans le pays, à l’appel d’un « Collectif contre l’impunité » créé au lendemain du meurtre.

L’association Reporters sans frontières (RSF) s’était portée partie civile en 2000 en France contre Blaise Compaoré dans l’enquête sur l’assassinat de Norbert Zongo, alors que l’ex-chef de l’Etat se trouvait en visite officielle dans l’Hexagone. La plainte avait été classée sans suite.

Plus d’une centaine de personnes ont été auditionnées dans l’affaire Zongo, dont François Compaoré.

Six « suspects sérieux » avaient été identifiés par une commission d’enquête indépendante mise en place par les autorités burkinabè. Mais seul l’adjudant Marcel Kafando, ex-chef de la garde rapprochée du président Compaoré, avait été inculpé pour « assassinat », avant de bénéficier d’un non-lieu en juillet 2006, confirmé en appel.

Fortement mobilisée sur cette affaire, RSF avait qualifié la décision judiciaire de « scandaleuse ». « C’est une honte et un coup dur porté envers tous les Burkinabés » en quête de « vérité », avait tempêté RSF.

Chaque année, le 13 décembre, des dizaines de Burkinabè – souvent plus – se rassemblent pour demander justice pour l’assassinat du journaliste.

La chute de Blaise Compaoré le 31 octobre 2014, chassé par des émeutes populaires après 27 ans de pouvoir, a changé la donne judiciaire.

L’affaire Zongo a été rouverte par la justice burkinabè, qui a lancé un mandat d’arrêt international début mai 2017 contre François Compaoré – l’émission du mandat n’a été connue qu’en juillet -.

D’autres affaires ont été rouvertes, à commencer par la plus emblématique, l’assassinat du président Thomas Sankara en 1987 lors du putsch qui a porté Blaise Compaoré au pouvoir.

Au moins « une centaine » de personnes ont péri durant les 27 années de règne de Blaise Compaoré, selon Chrysogome Zougmoré, le président du Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples.

Les cas de Clément Oumarou Ouédraogo et Boukary Dabo demeurent des blessures vives.

M. Ouédraogo, universitaire et idéologue du parti de M. Compaoré, avait été tué en 1991 par une grenade jetée dans sa voiture alors qu’il avait commencé à prendre ses distances avec le pouvoir.

Leader d’un syndicat étudiant, Boukary Dabo avait été enlevé par des membres de la garde présidentielle en 1990. Il n’a plus jamais été revu en vie ensuite.

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