Burkina Faso: l’armée prend le pouvoir, couvre-feu national décrété
L’armée burkinabè a annoncé jeudi la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée, l’instauration d’un couvre-feu et la mise en place d’un organe de transition, lors d’une conférence de presse à l’issue d’une journée d’émeute contre le président Blaise Compaoré.
Les pouvoirs exécutifs et législatifs seront assumés par un organe de transition, qui sera mis en place « en concertation avec toutes les forces vives de la nation » et dont l’objectif est un « retour à l’ordre constitutionnel » « dans un délai de douze mois », selon un communiqué du chef d’état-major des armées Nabéré Honoré Traoré, lu par un officier lors d’une conférence de presse.
Un couvre-feu est par ailleurs imposé « sur l’ensemble du territoire de 19h à 6h » pour « préserver la sécurité des personnes et des biens », d’après ce texte.
Le président burkinabè Blaise Compaoré, dont la dernière interview date de samedi, ne s’est pas exprimé de la journée. Il devrait le faire à 20H00 locales et GMT sur deux radios de Ouagadougou, selon des journalistes de ces stations.
La prise de pouvoir de l’armée est pour l’instant assez mal acceptée par les manifestants. Quelques centaines d’entre eux ont appelé à des sit-in dans la capitale pour éviter ce coup d’Etat.
Les responsables de l’opposition n’ont pour l’instant pu être joints.
Un peu plus tôt dans la soirée, le président burkinabè Blaise Compaoré aurait décrété l’état de siège, d’après un communiqué non authentifié de la présidence reçu par l’AFP.
« L’état de siège est décrété sur l’ensemble du territoire national. Le chef d’état-major des armées est chargé de l’application du présent décret, qui entre en vigueur à compter de ce jour », peut-on lire dans ce texte, sans entête officielle, dépourvu de date, et qui porte la signature de Blaise Compaoré, mais différente de son paraphe habituel.
Ce problème d’authentification se pose également pour un communiqué et une déclaration reçus du même service communication de la présidence, relatifs à une dissolution du gouvernement et à un appel à des pourparlers avec l’opposition, mais qui ne consistent qu’en quelques lignes non signées sur une feuille blanche.
Les Affaires étrangères déconseillent formellement tout voyage
Le SPF Affaires étrangères a adapté son avis concernant les voyages vers le Burkina Faso: désormais, tous les déplacements vers le pays d’Afrique de l’Ouest sont formellement déconseillés.
Jusqu’à présent, les touristes belges étaient appelés à faire preuve de vigilance sur le sol du Burkina Faso. Les Affaires étrangères ont donc adapté cet avis jeudi, en déconseillant tout voyage vers ce pays.
Il y a actuellement, selon le service public fédéral, 369 Belges résidant au Burkina Faso et 27 citoyens présents pour un court séjour. « Nous sommes en contact avec ces personnes », a indiqué Joren Vandeweyer, porte-parole des Affaires étrangères.
Les Affaires étrangères conseillent en outre aux Belges qui se trouvent sur place de signaler leur présence à l’Ambassade de Belgique à Ouagadougou, d’éviter les manifestations et rassemblements, de suivre la couverture médiatique et de s’informer sur l’évolution de la situation.
Un vol qui devait partir vendredi de Brussels Airport vers la capitale burkinabé a entre-temps été annulé.
Le Burkina s’enflamme
Après une journée d’émeutes contre le régime de Blaise Compaoré, au pouvoir depuis près de 30 ans, des tractations se sont engagées jeudi au Burkina Faso entre militaires pour trouver une issue à cette crise d’une ampleur exceptionnelle en Afrique subsaharienne.
Assemblée nationale incendiée, télévision publique prise d’assaut, violences en province, appels à la démission du président: en pleine tourmente, le gouvernement a dû « annuler le vote » du projet de révision constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres, prévu dans la matinée, et a appelé « au calme et à la retenue ».
Partenaires du Burkina Faso, qui joue un rôle-clé dans l’instable zone sahélienne, Paris et Washington sont montés au créneau. La France, ex-puissance coloniale, a plaidé pour un « retour au calme » et les Etats-Unis ont exprimé leur « vive inquiétude ». L’ONU a décidé d’envoyer sur place un émissaire.
Pour le régime en place depuis le putsch de 1987, c’est la crise la plus grave depuis la vague de mutineries de 2011, qui avait fait trembler le pouvoir.
Un « printemps noir » au Burkina Faso ?
Dans l’après-midi, les grandes manoeuvres ont commencé. Le général en retraite Kouamé Lougué, à qui des dizaines de milliers de manifestants ont demandé de prendre le pouvoir, rencontrait le chef d’état-major Nabéré Honoré Traoré, ainsi que les plus hauts gradés du pays.
Très apprécié des troupes et de la population, Kouamé Lougué, ancien chef d’état-major et ministre de la Défense jusqu’à son limogeage en 2003, s’est imposé au coeur du jeu. Il a ainsi rencontré le Mogho Naba, le « roi » des Mossi, une autorité coutumière très respectée dans le pays. Le chef de l’Etat appartient à cette ethnie, la plus importante du Burkina.
« L’armée est soudée avec le peuple », a affirmé Bénéwendé Sankara, l’un des ténors de l’opposition, demandant « la démission pure et simple du président Blaise Compaoré ».
L’ONU et l’Afrique joignent leurs forces pour la recherche d’une solution. L’émissaire de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest, Mohamed Ibn Chambas, sera dans le pays vendredi, au sein d’une mission de paix conjointe à l’Union africaine et à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Le Burkina a basculé dans la crise avec l’annonce, le 21 octobre, d’un projet de révision constitutionnelle portant de deux à trois le nombre maximum de quinquennats présidentiels. Arrivé aux affaires il y a 27 ans, le président Compaoré devait achever l’an prochain son dernier mandat, après deux septennats (1992-2005) et deux quinquennats (2005-2015). Lui qui a déjà modifié deux fois l’article 37 de la Loi fondamentale, en 1997 puis en 2000, pour se maintenir au pouvoir, défend la stricte légalité de sa démarche pour cette troisième retouche.
Mais l’opposition craint que ce nouveau changement conduise le chef de l’Etat, déjà élu quatre fois avec des scores soviétiques, à accomplir non pas un mais trois mandats supplémentaires, lui garantissant 15 années de plus au pouvoir.
Les opposants se prenaient ces derniers jours à rêver d’un renversement du régime, longtemps considéré comme l’un des plus stables de la région. Un « printemps noir au Burkina Faso, à l’image du printemps arabe », lançait mercredi l’opposant Emile Pargui Paré.
Mardi, des centaines de milliers de personnes – un million, selon l’opposition – étaient descendues dans la rue à Ouagadougou pour dénoncer un « coup d’Etat constitutionnel ».
Quelque 60% des 17 millions d’habitants ont moins de 25 ans et n’ont jamais connu d’autre dirigeant que M. Compaoré.
Le projet de révision et les tensions qu’il suscite inquiètent les partenaires du « pays des hommes intègres » (Burkina Faso, en langues locales) qui joue un rôle incontournable dans la zone sahélienne, en proie aux menées de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda.
Sur le continent africain, les développements de la crise burkinabè sont suivis de près. Au moins quatre chefs d’Etat préparent ou envisagent des révisions constitutionnelles similaires pour se maintenir au pouvoir, au Congo Brazzaville, au Burundi, en République démocratique du Congo et au Bénin. Le procédé, classique, a déjà été utilisé dans huit pays africains ces dernières années.
Compaoré ne démissionne pas mais lève l’état de siège
Le président Blaise Compaoré n’a pas indiqué qu’il démissionnerait et a annulé l’état de siège qu’il avait décrété quelques heures plus tôt, dans une allocution télévisée après les émeutes qui ont embrasé jeudi le Burkina Faso. Ces émeutes ont fait une trentaine de morts et plus de 100 blessés, selon un opposant.
« J’ai entendu le message. Je l’ai compris et pris la juste mesure des fortes aspirations au changement », a affirmé M. Compaoré.
« Je reste disponible à ouvrir avec vous des pourparlers pour une période de transition à l’issue de laquelle je transmettrai le pouvoir au président démocratiquement élu », a-t-il poursuivi.
Les pouvoirs exécutifs et législatifs seront assumés par un organe de transition, qui sera mis en place « en concertation avec toutes les forces vives de la nation » et dont l’objectif est un « retour à l’ordre constitutionnel » « dans un délai de douze mois », avait fait savoir le chef d’état-major des armées Nabéré Honoré Traoré, dans un communiqué lu par un officier lors d’une conférence de presse.
Si l’armée a imposé un couvre-feu « sur l’ensemble du territoire de 19h à 6h », qu’elle a mis en application en contrôlant tout passant à Ouagadougou, a constaté un journaliste de l’AFP, Blaise Compaoré a de son côté déclaré « annuler l’état de siège » national qu’il avait décrété dans l’après-midi.
Le chef de l’Etat burkinabè a participé à trois putschs, dont le dernier lui a permis d’arriver au pouvoir en 1987. Malgré deux septennats (1992-2005) puis deux quinquennats (2005-2015) et 27 ans de règne, il souhaitait se maintenir aux affaires après 2015, ce que ne lui permettait pas la Constitution.
Les manifestations de jeudi ont été causées par sa volonté de faire réviser pour la troisième fois – après 1997 et 2000 – l’article 37 la Loi fondamentale, qui fixait à deux le nombre maximum de quinquennats présidentiels.