Avant l'affaire, Bruno Retailleau (à g.) éloigne les gens de Fillon. Après, il essaie de les réunir. Fichu métier. © JEAN-SEBASTIEN EVRARD/AFP

Bruno Retailleau, le bras droit de François Fillon qui ne doute jamais

Le Vif

Bruno Retailleau est le fidèle des fidèles du cercle rapproché de François Fillon. Un soutien vital alors que le candidat de la droite est mis en examen pour détournement de fonds publics.

Dimanche 5 mars, 9 heures du matin. Bientôt, François Fillon jouera sa tête de candidat à la présidentielle française au Trocadéro, à Paris. Il appelle Bruno Retailleau pour lui lire certains passages de son discours :  » Je continuerai à dire à mes amis politiques que ce choix leur appartient et ne leur appartient pas.  » Un geste d’ouverture alambiqué envers ceux de son parti qui veulent l’abattre ? Le président de la région Pays de la Loire (ouest de la France) est contre. C’est le moment de tenir. Déjà, il avait plaidé pour qu’un lieu plus grand soit trouvé pour ce rassemblement – le Champ-de-Mars fut envisagé – avant que Fillon ne mette en garde contre des images d’une foule pas suffisamment compacte. Qu’à cela ne tienne, Bruno Retailleau verra au Trocadéro, grâce à ses lunettes magiques, ces fameuses  » 200 000 personnes « .  » Ce jour-là, il a surtout vu la Vierge « , se moquera un filloniste.

Tenir. La veille, les deux hommes étaient à Aubervilliers (Seine-Saint- Denis, au nord-est de Paris) pour un grand bide de campagne : la présentation du programme à la société civile dans une salle à moitié vide.  » Nos regards se croisent à peine, je sens qu’il évite le mien, note-t-il. J’entends pour la première fois une voix qui n’est pas totalement posée.  » Le candidat a le droit de douter, lui non. Cela s’appelle avoir la foi, il l’a.  » Sa fidélité à cet instant, avance un proche, me fait penser à cette phrase de Garcia Marquez justifiant son amitié pour Fidel Castro : « Je suis de ceux que l’on enterre avec leurs amis. »  »

Ne rien céder

Il est surnommé le u0022chanoineu0022, mais ce n’est pas un enfant de choeur

Depuis que les ennuis ont commencé, Bruno Retailleau, 56 ans, répond présent. Il est là quand François Fillon apprend, le mardi, sa convocation en vue d’une mise en examen qui lui sera finalement signifiée le 14 mars pour détournement de fonds publics, complicité et recel d’abus de biens sociaux . Le candidat s’assied :  » Ça change beaucoup de choses.  » Il est là pendant la réunion organisée dans l’urgence, jusqu’à ce que Fillon y mette un terme en se levant, un peu avant 23 heures :  » Je vais parler avec ma femme, on verra demain ce que je décide.  » Il est là, le lendemain, quand François Fillon relit la déclaration à la presse que lui a préparée son ami, l’écrivain François Sureau – le Vendéen Retailleau plaidera avec d’autres pour que soient supprimées quelques attaques frontales contre les juges. Jamais il n’a cru à une alternative. Il l’a dit une fois à Fillon :  » Ce plan B n’existe que par ta seule volonté.  » Pour lui, la légitimité du vote de la primaire est le bien le plus précieux, rien ni personne ne peut s’y opposer. Du coup, quand Fillon s’interroge, Retailleau, lui, ne se pose pas de questions.  » Dans ces temps tumultueux, la fidélité et la loyauté ont été des vertus majeures, confie François Fillon au Vif/ L’Express. Bruno a fait preuve de ces deux vertus, parce que c’est un ami et parce que c’est dans sa nature. Mais encore plus que cela, quand les vents soufflent fort, tiennent ceux qui ont des racines et des convictions très profondes. Bruno est, comme moi, absolument convaincu que la France joue son destin dans les prochaines années. Chez lui, l’intérêt du pays commandait de ne rien céder.  »

Au QG, Bruno Retailleau a gagné le surnom de  » chanoine  » – c’est toujours mieux que  » chewing-gum « , associé à Bruno Le Maire quand il rallia François Fillon, avant de casser net. Mais le chanoine n’est pas un enfant de choeur. Au lendemain de la primaire, il aurait pu récupérer la direction des Républicains ; il pousse Bernard Accoyer, l’ancien président de l’Assemblée nationale. Laurent Wauquiez, qui est donc rétrogradé, apprécie peu :  » Il incite Fillon à désincarner le parti. Plus généralement, il cherche à éliminer tout ce qui lui fait de l’ombre.  » C’est un reproche que lui adressent nombre de ses compagnons. Avant l’affaire, il éloigne les gens de Fillon. Après l’affaire, il essaie… d’éviter que les gens ne s’éloignent de Fillon. Fichu métier.  » A un moment, ça ressemblait vraiment au bunker de Berlin, l’enfermement avec la dernière cohorte « , observe un élu. Le 1er mars, au cinquième étage d’un QG sous le choc, Bruno Retailleau et la communicante Anne Méaux gardent le dernier réduit autour de François Fillon. Filtrant l’accès au candidat, ils repoussent ceux qui le pressent de renoncer. Thierry Solère, le porte-parole venu la jambe dans le plâtre, est éconduit. Un ex-pilier de la campagne raconte :  » Tout le système ne tient que grâce à lui. S’il n’est pas là, il n’y a plus rien. Il a une dureté idéologique que j’ai rarement vue.  »

National-conservatisme

Sa rencontre avec Fillon remonte à 1998. Etoile montante de la galaxie Philippe de Villiers, avec qui Fillon a passé accord en Pays de la Loire, Retailleau hérite au conseil régional d’une vice-présidence à la culture. Logique, pour ce cavalier qui passe tous ses week-ends au Puy du Fou depuis l’âge de 16 ans. Elu président de la région en 2015, l’adepte de Gramsci travaille maintenant au réarmement idéologique de la droite : le 24 mars, il recevra Marcel Gauchet et Jacques Julliard aux rencontres de l’abbaye royale de Fontevraud, autour du thème  » L’idéal républicain à l’épreuve « . Bientôt, il publiera un livre sur la pensée de son camp. Il jongle volontiers avec des intellectuels de tous horizons. Hannah Arendt a même fait l’objet d’échanges entre lui et Emmanuel Macron, avant que la campagne présidentielle ne tende les relations entre eux. C’est Retailleau qui, le premier, remarque la phrase de l’ex- secrétaire général de l’Elysée à Lyon ( » Il n’y a pas une culture française, il y a une culture en France « ) et suggère à Fillon de l’exploiter au maximum.

Retailleau l’intransigeant : l’image lui colle à la peau. Au conseil régional, l’opposition reconnaît à  » Bruno « , comme beaucoup l’appellent, ses manières courtoises, mais dénonce un national-conservatisme forgé chez Philippe de Villiers.  » Il n’est pas dans la brutalité ou la provocation d’un Wauquiez. C’est plus progressif et plus malin « , décrit le socialiste Christophe Clergeau, qui souligne les trois sièges accordés aux militants de Sens commun, qui incarne au sein des Républicains la mouvance antimariage gay. Cette proximité idéologique nouée lors des régionales a sans doute favorisé le soutien de l’association au candidat Fillon durant la primaire.

 » Je ne suis pas un fou furieux fanatique, se défend Bruno Retailleau. Je n’aime pas le conflit, mais il faut me passer sur le corps pour que je renonce à mes convictions.  »

S’il est celui qui a le mieux tenu, la faiblesse du candidat a contraint ce dernier à modifier ses plans : les plus fidèles ne sont jamais les mieux récompensés. Depuis quelques jours, François Fillon élargit son équipe à ses adversaires d’hier : François Baroin, Luc Chatel, même Laurent Wauquiez.  » Si, il y a deux mois, on m’avait dit que l’un de ceux qui se seraient le mieux comportés avec moi, ce serait toi, je n’aurais pas signé en bas à droite « , a remarqué le candidat devant le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Pour Bruno Retailleau, il aurait signé les yeux fermés.

Par Thierry Dupont et Éric Mandonnet.

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