Rosanne Mathot

Brexit : un nuage de laid

Rosanne Mathot Journaliste

C’est une valse effrénée de passeports qui agite l’Union européenne, depuis le Brexit, il y a six mois. Dans toute l’Europe, y compris en Belgique, les bureaux consulaires et ministères des affaires étrangères sont pris d’assaut par des citoyens britanniques souhaitant changer de nationalité, ou en obtenir une double. La quête d’un sésame belge amène ainsi une royale nonagénaire, parente du Roi Philippe, au Café Geyser : un récit à base de réalité, de fiction, de dérision et d’observation.

Lorsqu’il occupait sa maison de la rue des Batailles, à Chaillot, Balzac ne roulait pas sur l’or. Pour maintenir son train de vie ardent, tout en échappant à ses créanciers, il eut l’idée détonnante de devenir une femme. Ainsi, c’est sous l’alias de la « Veuve Durand » qu’il s’épuisa en correspondances avec ses huissiers, disputant au Balzac masculin son bureau et rêvant, de temps à autre, à des choses belles, noires, rouges et dorées. Un drapeau belge ? En tout état de cause, on ne le répétera jamais assez : les hommes, même bien éduqués, même bien charpentés, ne sont jamais ce qu’ils prétendent être. Le muscle ne fait pas le moine. La nationalité non plus.

Ainsi, les flegmatiques et si polis John, Meredith et autres Billy, nés en terre britannique, sous le fanion européen, sont devenus, depuis le 23 juin dernier, aussi retors qu’un club de comptables acharnés. (1) Depuis le laid petit triomphe du Brexit, les Anglais font fi de la bienséance que leur sang leur impose : dorénavant, c’est toutes dents dehors qu’ils se démènent pour qu’on leur troque leur empire contre un passeport à la couverture bordeaux, si sombre et émouvante, faut bien le dire. (2)

Mais quoi ? Les documents d’identité ? La politique ? La guerre même ? Le soleil s’endort dessus et les flocons les recouvrent à l’hiver. Et là, tiens, justement, Noël approche. Par petites bourrasques glacées. Les jardins publics sont presque vides. Partout, en Belgique, flotte un parfum de menthe verte, de chocolat noir et d’amertume. Le soir bruxellois ramène l’homme et la femme anglais à leur orphelinat administratif. Et la pluie se met à tomber.

En revenant, trempée, du Bureaux d’Accueil pour Primo-Arrivants, Elisabeth avait longuement cherché un café pour s’y réfugier. Elle avait fini par choisir un thé, chaud, dopé d’une pointe de whisky écossais. Depuis des mois, elle se faisait un sang d’encre pour son avenir, ce qui n’est guère recommandé pour une dame de son âge. Elle avait bien pensé transférer ses avoirs dans une banque belge. Mais comme elle n’éprouvait qu’une affection limitée pour les foudres du fisc, elle avait renoncé, préférant prendre une coûteuse couverture sur ses actions britanniques. (3) Son moral était au plus bas : même les ronronnements apaisants de son lointain parent, le Roi Philippe, avaient été totalement superflus, car résolument dénués de romantisme : le mariage royal blanc, ce ne serait pas pour cette fois-ci.

Assise à la table N°2 du Café Geyser, au coeur de Bruxelles, Elisabeth se dit qu’il n’y avait vraiment qu’un seul espoir : l’Europe. Et qu’une seule menace : la même. Alors qu’elle relisait le paragraphe 2 de l’article 19 du Code de la nationalité belge, la royale nonagénaire se demandait quels « mérites à la Nation » elle allait bien pouvoir mettre en avant, pour obtenir gain de cause devant la Chambre des représentants. (4)

S’imaginant en Mata Hari belge, Elisabeth grinça des articulations et imagina furtivement changer de nom. S’appeler Lisbeth Vandenabeele pourrait être un plus indéniable, quoiqu’un redoutable défi orthophonique sans le moindre intérêt réel, finalement, pour obtenir un passeport.

Dans une besace, Elisabeth a rassemblé ce qui lui rappelle le plus tendrement son pays : un parapluie, une moustache, une bouilloire, et un tunnel sous la Manche. De son sac à dos de migrante, elle tire l’impalpable poussière glacée du découragement.

Elle se met à imaginer une époque proche où, dans les parcs de Bruxelles, on ne verrait plus qu’un entrelacs de parapluies anglais dessinant des étoiles jaunes sur des pelouses bleues. Dans un nuage de lait. Magritte serait content.

Mais c’est pas tout ça. L’heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S’agirait quand même pas de louper le film qui va démarrer à 20h15 sur la Une !

1. Il y a six mois, le 23 juin 2016, les citoyens britanniques ont tranché : à 51,9 %, ils ont choisi de quitter le giron européen, 43 ans après l’avoir rejoint.

2. Conséquence inattendue du Brexit : les demandes de nationalité affluent en Belgique et vont jusqu’à agiter le gouvernement : le cabinet du premier ministre Charles Michel a ainsi été saisi de la situation : il promet « un examen du problème ». Voir Le Vif du 14/11/2016.

3. La Belgique a été, récemment, classée dans le « top 20 » des paradis fiscaux : voir le Vif du 12/12/2016.

4. A moins d’être né en Belgique, l’obtention de la nationalité belge n’est pas chose aisée ; il y a de nombreux cas de figure, mais le plus commun est le suivant : il faut résider en Belgique depuis au moins cinq ans, faire preuve d’une intégration économique (avoir un contrat de travail et/ou des revenus, ou avoir atteint l’âge de la pension), et parler l’une des trois langues nationales. Autre possibilité : se marier avec un Belge ou encore rendre des services particuliers à la Nation.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire