Elio Di Rupo

Brexit : un jeu de dupes qui profite aux eurosceptiques

Elio Di Rupo Président du Parti socialiste

Que diront les générations futures ? En 2016, l’Union européenne devait affronter une multitude de crises profondes. L’économie stagnait. Une génération de millions de jeunes se trouvait sacrifiée dans un chômage sans fin. La menace climatique grandissait. Des conflits aux frontières provoquaient un afflux important de réfugiés. Les menaces de guerre augmentaient.

Et pendant ce temps, les leaders de l’Europe étaient au chevet de David Cameron pour mettre en oeuvre l’une de ses promesses électorales. La boîte de Pandore était ouverte : c’était le signal pour les eurosceptiques que le démantèlement de l’Europe pouvait commencer.

Les dirigeants de l’Union européenne donnent aujourd’hui l’impression de se quereller sur le sexe des anges au moment même où la maison commune menace de s’écrouler.

Là ne réside pas seulement le caractère honteux de l’accord du 19 février 2016. Il reflète aussi et surtout le décalage considérable entre les préoccupations des gouvernants européens et celles des citoyens. Comme je l’ai souvent souligné lorsque j’y participais, le Conseil européen ne se préoccupe pas assez des problèmes quotidiens des gens. Cette erreur renforce ainsi des antieuropéens, qui sont de plus en plus nombreux. Et les Européens voient de moins en moins en quoi l’Europe, pourtant si nécessaire, mais qui devrait être si différente, pourrait les protéger. Voilà à quoi devraient d’atteler les dirigeants de l’Union.

En troisième lieu, si cet accord crée une multitude de discriminations, l’une d’entre elles a peu retenu l’attention. Cet accord va compliquer la régulation de la zone euro, et compliquer spécialement la régulation des banques. En revanche, il va diminuer sensiblement la protection de millions de travailleurs dans toute l’Europe. En cela, il démasque des dirigeants européens toujours plus favorables aux opérateurs économiques, et de moins en moins à l’écoute de la population. Un tel accord reflète l’obstination à mettre en oeuvre une stratégie de dérégulation, spécialement du secteur financier, ce qui constitue un comble après la plus grande crise financière depuis 1945.

Cet accord est également dangereux pour l’avenir de l’Union européenne, au moins à deux égards.

Il n’existe aucune raison, juridique ou politique, d’accorder un nouveau traitement exceptionnel au Royaume-Uni

D’une part, et comme on l’a vu, il va rendre plus difficile l’approfondissement de la zone euro. Des dispositions très complexes ont été élaborées pour protéger davantage les pays hors euro. Leur portée juridique est obscure, mais ils pourront sans doute plus facilement en perturber le fonctionnement. Or, comme nous nous en rendons compte tous les jours, la crise de la zone euro n’est pas terminée. De nouveaux problèmes bancaires ne sont pas exclus. En tout état de cause, la survie de l’euro imposera tôt ou tard un renforcement substantiel.

D’autre part, il n’existe aucune raison, juridique ou politique, d’accorder un nouveau traitement exceptionnel au Royaume-Uni en Europe. Soyons clairs : moi aussi, j’aime bien les Britanniques et je préférerais qu’ils restent dans l’Union. Le projet européen n’a pas de sens avec des peuples qui se désunissent.

Mais certains ont dit qu’il fallait à tout prix satisfaire le gouvernement Cameron pour éviter un exit qui pourrait donner des idées à d’autres. Mon idée est exactement l’inverse. Il ne fallait pas satisfaire le gouvernement Cameron, pour éviter que d’autres gouvernements ne réclament la même chose dans d’autres domaines. Donald Tusk lui-même, devant le Comité des régions, le 10 février dernier, a clairement exprimé sa crainte de voir le référendum britannique devenir un modèle attractif pour certains dirigeants européens essentiellement préoccupés par leurs intérêts nationaux.

Et à ceux qui doutent encore, la N-VA a répondu ce week-end : « Ce n’est pas le début de la fin, mais bien le début de larges réformes nécessaires. Il ne s’agit que de la première étape vers une modernisation fondamentale de l’Union européenne. »

Il n’y a eu aucune résistance pour améliorer le fonctionnement de l’Europe. L’accord n’est que concessions à Cameron.

Les dirigeants européens auront donc encore une fois abîmé l’image de l’Union, facilité le travail des eurosceptiques et surtout rendu plus difficiles les négociations ultérieures. Pour faire progresser l’Europe sur le plan social et démocratique, nous aurons décidément besoin d’un grand, d’un profond changement.

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