Franklin Dehousse

Brexit: « un bon divorce vaut mieux qu’un raccommodage permanent »

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

En Europe, Jean-Claude Juncker, président de la Commission, et surtout Donald Tusk, président du Conseil, sont spécialistes des déclarations larmoyantes, du style « Angleterre, nous t’aimons, reviens, la porte est ouverte ».

Les politiciens, dans un âge où les arguments rationnels ne semblent plus convaincre, se réfugient volontiers dans le pathos de bas étage. On rêve d’une parodie de film d’amour entre John Bull et Europa. John Bull veut rentrer à Downton Abbey, où il se sentait si bien, et quitter la misérable Bruxelles. Europa, qui appréciait tant sa contribution budgétaire, oscille entre le langage dur ( » il n’y aura plus de rapports profonds entre nous « ) et les salades sentimentales ( » comme on était bien « ). John Bull ne rejette pas des étreintes occasionnelles, mais à condition de préserver sa liberté. Europa, elle, protège d’abord sa sécurité, pension alimentaire et respect des engagements.

Un autre rêve serait que le gouvernement britannique décide de renverser le résultat du référendum. Tusk, Juncker & Co ne semblent pas y avoir réfléchi : il pourrait vite tourner au cauchemar. D’abord, il faudrait l’accord de tous les Etats membres pour arrêter le Brexit. Ensuite, il faudrait revenir sur la libre circulation des personnes. L’accord de février 2016 sur le  » statut spécial  » du Royaume-Uni, un délire juridique, a été annulé par le référendum.

Ensuite, et surtout, l’Union européenne a déjà évolué depuis. Il existe une pression montante pour des réformes, déjà reconnue par le Conseil européen. Qui croit sérieusement que le Royaume-Uni les facilitera ? Qu’il poussera à une ambitieuse union de la défense ? Qu’il ne répétera pas l’opposition de 2011 à la réforme de l’Eurozone, qui a contraint tous ses membres à conclure un traité séparé ? Qu’il n’exercera pas de freinage sur le renforcement de l’union bancaire ? Qu’il acceptera un budget renforcé ? Comment, de plus, justifier des obligations de solidarité imposées aux pays d’Europe de l’Est en matière de migrants et de réfugiés si le Royaume-Uni échappe à cet élément devenu essentiel grâce à une de ses exemptions ?

A John Bull le vieux whisky, à Europa les petits gâteaux, à tous l’acidité toujours plus grande

Enfin, tous ces problèmes, très difficiles, devraient être négociés avec un partenaire extraordinairement divisé. Le référendum a déchiré le pays à tous les niveaux. Si on en organise un second, pourquoi pas un troisième ? Et si on annule le Brexit sans nouveau référendum, on entendra sans cesse à l’avenir l’accusation de meurtre de la démocratie par les élites. Ces déchirements n’auront alors pas de fin.

Pour le Royaume-Uni comme pour l’Union européenne, la meilleure stratégie ne consiste pas à contester sans cesse l’issue du référendum. Il faut négocier la forme la moins brutale du Brexit (question non tranchée par le référendum). En maintenant des illusions, Tusk, Juncker & Co ne font que rendre cela plus difficile. Ils provoquent les partisans du Brexit, divisent ses adversaires et renforcent l’insécurité générale.

D’ailleurs, à partir d’un certain degré d’insatisfaction, un bon divorce vaut mieux qu’un permanent raccommodage. Comme illustration de mauvais cinéma, songeons aux trois mariages successifs de Richard Burton et Elizabeth Taylor. A chaque épisode, il prenait plus d’alcool, et elle plus de poids. A John Bull le vieux whisky, à Europa les petits gâteaux, à tous l’acidité toujours plus grande. Ce couple pourrait symboliser notre nouvelle  » relation spéciale  » d’un Brexit non réalisé.

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