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Bosnie: à Mostar, vivre ensemble reste un combat

Le Vif

Zoran le Croate et Edin le Bosniaque, qui furent dans des camps opposés, aimeraient passer à autre chose: mais leur ville de Mostar reste profondément divisée, stigmate du conflit entre leurs communautés.

La reconstruction du célèbre pont ottoman, dont la destruction par les Croates avait été un symbole de cette guerre, ne peut cacher la réalité: cette ville de plus de 106.000 habitants, est traversée par une frontière, le « Bulevar ».

Si on est Bosniaque musulman (44% de la population), on vit à l’est. Pour les Croates catholiques (48%), c’est l’ouest. Cette ségrégation est l’héritage d’une « guerre dans la guerre » que forces croates et bosniaques se livrèrent entre 1993 et 1994, parallèlement à leur combat commun contre les Serbes.

Mercredi, la justice internationale rend en appel son verdict contre six anciens chefs de la Herceg-Bosnia, éphémère « république » autoproclamée des Croates de Bosnie. Ils ont été condamnés en première instance à des peines de dix à 25 ans de prison, accusés d’avoir organisé l’épuration ethnique des Bosniaques en usant de déportations, de viols, de meurtres…

Ville pauvre du sud de la Bosnie, dont l’industrie a été ravagée en même temps que la Yougoslavie explosait, Mostar ne s’est jamais remise de ce conflit. Cela fait près de dix ans que faute de concorde entre communautés et d’accord entre les partis nationalistes bosniaque (SDA) et croate (HDZ), elle est sans conseil municipal.

‘Nous devons vivre ensemble’

Rares à accepter de s’exprimer, Zoran Mikulic, 55 ans, et Edin Zagorcic, 49 ans, dirigent désormais ensemble la section de Mostar du parti social-démocrate, formation qui refuse de faire de la politique selon des lignes communautaires.

Ils n’en peuvent plus de cette séparation de part et d’autre du « Bulevar » qui suit un cours parallèle à la rivière Neretva, où s’était effondré le « Stari Most », le « Vieux pont », en novembre 1993.

A l’est flottent les drapeaux bleu et jaune de la Bosnie, les murs sont tagués des graffitis « Red Army », les supporteurs de Velez, jadis club multiethnique, aujourd’hui bosniaque. Cette équipe a été chassée de son stade historique, utilisé depuis par l’équipe croate de Zrinjski, à l’ouest. Dans ce secteur, flottent les drapeaux de la Herceg-Bosna, similaires au drapeau croate.

Pourtant, « nous devons vivre ensemble, on n’a pas d’autre choix. C’est comme ça qu’il faut appréhender ce verdict et laisser aux historiens le soin d’écrire l’histoire », dit le Croate Zoran Mikulic.

« Le verdict sera différemment accueilli dans les deux parties de la ville. Mais il faut souligner une chose: on ne juge pas un peuple. On juge une politique et ses exécuteurs », dit le Bosniaque Edin Zagorcic. « On ne renoncera jamais à un Mostar réuni », disent-ils d’une seule voix.

‘Sème la zizanie…’

Le rêve est lointain. « Le Mostar d’aujourd’hui est incomparable avec le Mostar d’autrefois », regrette Hamza Djonko, Bosniaque de 72 ans, roué de coups en 1993 dans son appartement de l’ouest d’où il avait été expulsé avec son épouse et leurs enfants. Il vit aujourd’hui à l’est. Pour ce retraité, le principal point commun désormais, c’est « la racaille des deux côtés ».

Toutes les communautés envoient leurs enfants dans le lycée sur le « Bulevar ». Mais Croates et Bosniaques étudient dans des classes séparées. A côté, sur un immeuble toujours éventré, on lit un graffiti: « Zavadi pa vladaj » (« Sème la zizanie pour gouverner »). A Mostar, à chacun son hôpital, son service d’urgence, sa brigade de pompiers, sa poste, sa compagnie d’électricité…

Croate de Sarajevo, Zoran Carni, 65 ans, avait quitté la capitale pendant la guerre pour s’installer à Mostar. Il a des amis dans toutes les communautés. Mais « tous les Bosniaques que je connais vivent à l’est et tous les Croates à l’ouest », résume-t-il.

Mardi soir, une messe sera dite pour les accusés à la cathédrale de Mostar. Du côté ouest de la ville.

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