Ali Khamenei © NurPhoto via Getty Images

Bientôt un changement de régime en Iran? « Je préfère être arrêté que de mourir de faim »

Le Vif

Alors que le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, rencontre son homologue iranien Mohammad Javad Zarif à Bruxelles ce jeudi, des dizaines de milliers d’Iraniens manifestent contre le régime.

Des policiers montent la garde devant l’Université de Téhéran, tout comme à d’autres endroits du pays. Il y a une semaine et demie, des centaines d’étudiants y manifestaient encore. Leurs slogans résonnaient dans tout le pays : « À bas la République islamique ! »Ou « Mort à l’ayatollah Khamenei! » Mais soudain tous les accès au campus ont été fermés. Sauf un, où des policiers frappaient les manifestants à coups de matraque. Said, un étudiant en sciences politiques de 22 ans, y était. « Certains de mes amis n’ont pas pu échapper, et ont été arrêtés », raconte-t-il. « Au début, il n’y avait que des étudiants d’extrême gauche et des ouvriers qui descendaient dans la rue. À présent, de plus en plus de gens exigent des réformes. » Tout à coup, Said s’excuse. Il ne peut parler au téléphone et raccroche.

Ce n’est pas la première fois que le pays chiite est en proie à des troubles sociaux. Aux élections présidentielles de 2009, des dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans la rue. Ils étaient surtout issus de la classe moyenne. Aujourd’hui, ce sont surtout les ouvriers et les personnes non qualifiées de province qui sont en colère. Mais cette fois il n’y a pas d’opposition qui pilote, et les motifs des manifestants divergent. Certains veulent renverser le régime, d’autres veulent qu’il soit plus radical et beaucoup sont tout simplement fâchés par le prix des oeufs.

La réaction du régime varie. Le leader religieux suprême du pays, l’ayatollah Ali Khamenei, prétend que les manifestants sont excités par des agents étrangers et certains fonctionnaires haut placés menacent les manifestants de la peine de mort. Le président iranien modéré Hassan Rohani a quant à lui qualifié les protestations contre les hausses de prix de « légitimes ».

Inégalité croissante

Les premières protestations visaient Rohani. Elles ont été lancées par des religieux conservateurs opposés à la politique modérée du président. Mais ce n’était là que le détonateur. Sous la surface, beaucoup sont insatisfaits de la situation économique déplorable du pays. Ces dernières semaines, le prix des denrées alimentaires a explosé. Le chômage des jeunes atteint les 40% et ceux qui ont du travail, sont souvent payés en retard. En outre, le pays est en proie à une sécheresse extrême et plusieurs institutions financières ont fait faillite, faisant perdre leur épargne à trois millions de familles. Comme l’État iranien consacre des milliards de dollars aux guerres en Irak et en Syrie, la population éprouve encore plus le sentiment d’être abandonnée. Fin décembre, Rohani a jeté de l’huile sur le feu en révélant que l’armée, la Garde révolutionnaire et l’establishment religieux encaissent des milliards et que personne ne vérifie ces flux d’argent.

« Tout le monde est furieux », déclare Pedram, un activiste emprisonné en 2009 qui ne manifeste pas pour cette raison. « Les milliers de pensionnés qui ne reçoivent plus leur retraite depuis des mois sont en rage. Comme tous les gens qui ont perdu leur épargne. Les Iraniens n’en peuvent plus de la corruption et de la restriction de leurs libertés. »

Pourtant, l’élection de Rohani en 2013 avait suscité beaucoup d’optimisme. Il avait conclu un accord sur le programme nucléaire iranien avec son homologue américain Barack Obama. Cela avait permis de lever une bonne partie des sanctions internationales contre l’Iran et devait engendrer de la croissance économique. Rohani avait promis plus de transparence et avait déclaré qu’il allait mettre fin à la corruption. En 2017, le président a été réélu à 57% des voix.

Initialement, tout allait bien. L’inflation a fortement diminué et le Fonds monétaire international a loué les réformes du gouvernement iranien. Pourtant, le niveau de vie des Iraniens ordinaires a empiré. Malgré la levée de nombreuses sanctions, les banques internationales étaient réticentes à faire des affaires avec l’Iran. Depuis que Trump prétend que le régime iranien viole l’accord atomique et qu’il menace de nouvelles sanctions, les investissements étrangers stagnent à nouveau.

Il y a également beaucoup de problèmes intérieurs. Ce n’est pas Rohani qui détient le véritable pouvoir, mais les élites religieuses et Khamenei en particulier. Cette élite, qui s’est énormément enrichie ces dernières années, s’oppose aux réformes économiques, ce qui mène à plus d’inégalité et beaucoup d’insatisfaction. « Si vous n’avez ni relations ni argent, vous n’arrivez à rien dans ce pays », explique Jawad, un photographe de 24 ans. « Ainsi, les universités publiques sont réservées aux fils et filles de martyrs de a révolution. » Jawad ne rêve que de fuir l’Iran et manifeste. « Je préfère être arrêté que de mourir de faim. Je n’ai rien à perdre. »

Ebrahim Mohseni de l’Université de Téhéran étudie les motifs des manifestants. « Il y a trois groupes », explique-t-il. » Les pauvres et les illettrés gémissent sous l’économie moribonde. Puis il y a les opposants conservateurs de Rohani, et finalement il y a les manifestants qui veulent mettre fin à la République islamique. Le premier groupe est de loin le plus grand », déclare Mohseni. « Certainement parce que Rohani s’enferme dans son bureau et visite rarement les régions pauvres. »

Les tweets de Trump

Les protestations mèneront-elles à un changement de régime? Mohseni est sceptique. « Les religieux conservateurs ne peuvent trop fulminer contre Rohani, car alors ils sapent tout le régime islamique. » Et qu’en est-il des opposants à la République islamique ? Mohseni: « Ces dernières semaines, ce groupe a usé de violences et s’est aliéné de nombreux Iraniens modérés. »

Malgré tout, beaucoup d’Iraniens modérés sont en effet contents de Rohani. Hassan, qui a manifesté contre le régime en 2009, témoigne. « Ces dernières années, nous avons eu plus de libertés. Les services de sécurité ne nous gâchent plus la vie quand on organise une fête ou postons des critiques sur les réseaux sociaux. Les protestations risquent de nous faire perdre ces acquis. »

Cependant, les États-Unis représentent la plus grande menace à de véritables réformes. Les menaces de Trump apportent de l’eau au moulin de l’establishment religieux. Pour les radicaux, le fait que Trump veuille résilier l’accord atomique et plaide en faveur de nouvelles sanctions, prouve que l’accord n’aurait jamais dû être conclu et qu’il est inutile de chercher à se rapprocher de l’Occident. Ils prétendent aussi que les manifestants sont payés et soutenus par les États-Unis, une conviction partagée par beaucoup d’Iraniens.

Les tweets de Trump viennent encore renforcer cette idée. « Tant de respect pour le peuple iranien. Les États-Unis vous soutiendront au bon moment », écrivait-il récemment. Selon Trump, les manifestations illustrent que le régime iranien n’est pas à la hauteur et que les nouvelles sanctions sont légitimes.

Mohseni estime qu’il risque de renforcer la position des conservateurs. « Les modérés, les réformateurs et tous ceux qui plaident en faveur de plus d’ouverture envers l’Occident, sont poussés dans un coin. Les radicaux chercheront justement la confrontation avec l’Occident. Ils diront que c’est la seule façon pour l’Iran de garantir sa liberté. »

« La rébellion sera probablement matée », déclare Suzanne Maloney, une ancienne conseillère du ministère américain des Affaires étrangères. « Même si ce sera sans trop d’effusions de sang, pour éviter que la situation dégénère. La République islamique sait comment gérer l’instabilité. Invasions, tremblements de terre… elle survit à tout. »

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