Selon Bernard Hanotiau, l'arbitrage nécessite "des qualités de rigueur, de bon jugement juridique et de good common sense". © Hakim Kaghat pour Le Vif/L'Express

Bernard Hanotiau, maître en arbitrage international

Pierre Jassogne
Pierre Jassogne Journaliste Le Vif/L’Express

Fort de son expérience d’arbitre réputé, le Belge Bernard Hanotiau contribue à résoudre de par le monde conflits et litiges de tout acabit, à coup de millions de dollars. Il déplore que l’Union européenne n’ait jamais été favorable à l’arbitrage.

En avril dernier, le comité d’éthique de la Fédération internationale de football (Fifa) désignait trois spécialistes de l’arbitrage international pour examiner la suspension de Michel Platini, secrétaire général de l’Union européenne de foot (UEFA), de toutes ses fonctions. Le 9 mai, le Tribunal arbitral du sport la confirmait. Parmi les trois arbitres figurait le Belge Bernard Hanotiau, soudain placé sous les projecteurs dans une affaire très médiatisée. L’homme se veut d’ordinaire plus discret. Mais pas dans la profession dont il est devenu, au terme de quarante ans de résolution de litiges et de conflits, un des acteurs les plus expérimentés et renommés.

Comment gère-t-on ce genre d’affaires, extrêmement sensibles et médiatiques ?

Il y avait beaucoup de pression sur les intéressés et sur les avocats. Mais pour moi, c’était une affaire comme une autre. Je siège depuis des années au Tribunal arbitral du sport. Dans de précédents dossiers, j’ai été nommé par la partie adverse à la Fifa. Ici, elle m’a désigné, sans doute, grâce à mes qualités. Que ce soit face à un sportif, un Etat ou un investisseur, chaque affaire est distincte. En tant qu’arbitre, on ne les choisit pas. Du jour au lendemain, on peut me solliciter pour un litige relativement local ou pour un contentieux extrêmement important à l’autre bout du monde.

C’est ainsi que vous êtes intervenu dans 350 arbitrages internationaux dans toutes les régions du monde depuis 1978…

Il faut sortir de la logique que c’est l’Etat qui perd systématiquement dans les arbitrages »

Y compris pour des satellites qui ne fonctionnaient pas (rires) ! J’ai été arbitre dans des dossiers concernant Eurotunnel, Euro Disney ou, actuellement, l’élargissement du canal de Panama. A chaque fois, le scénario est différent. Au début de ma carrière, à la fin des années 1970, l’arbitrage était limité à l’Europe. Aujourd’hui, il n’y a plus un contrat international qui ne prévoit pas le recours à l’arbitrage pour la résolution des litiges.

Comment devient-on arbitre et comment acquiert-on la réputation d’être l’un des meilleurs au monde ?

Devenir un arbitre international réputé nécessite un énorme investissement. Il faut soit emprunter la voie d’une carrière académique en droit international, ce qui fut mon cas, soit suivre après ses études de droit un programme spécialisé en arbitrage international à Londres, Genève ou Washington, par exemple. Il faut ensuite pouvoir pratiquer cette matière dans un cabinet spécialisé, publier des articles de qualité sur le sujet dans des revues scientifiques et se profiler comme conférencier dans des colloques et séminaires consacrés à des questions d’arbitrage. Une connaissance approfondie de l’anglais est indispensable car la plupart des arbitrages se tiennent dans cette langue. Si l’on démontre des qualités de rigueur, de bon jugement juridique et de good common sense, la réputation se bâtit ; le nombre de désignations comme arbitre augmente ; et, progressivement, la réputation franchit les frontières et les continents. En arbitrage, il n’y a pas de limite d’âge ni de limite territoriale. J’arbitre en permanence dans le monde entier, du Japon au Mexique. Mais soyons clair : il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Les désignations pour siéger au sein d’un tribunal arbitral pour trancher un litige déterminé se font en premier lieu par les parties, c’est-à-dire leurs conseillers juridiques internes ou leurs avocats, sur la base de la réputation et de l’expérience. Les arbitres réputés sont bien connus, de nombreuses revues spécialisées en font le classement chaque année.

S’agit-il d’affaires qui ne se résolvent qu’à coup de millions de dollars ?

Il n’y a pas de règles. Mais, en général, on recourt à l’arbitrage pour de très grosses affaires qui portent sur des sommes immenses. J’ai actuellement un litige qui porte sur 46 milliards de dollars. Mais j’ai aussi eu à traiter des affaires qui portaient sur 100 000 euros. Ça aide à garder la tête froide.

Distribuer des amendes considérables à des investisseurs ou des Etats, cela ne vous empêche-t-il pas de dormir ?

Pas du tout. Je ne sens jamais la pression, même dans des affaires très importantes, confronté à des légions d’avocats. J’étais arbitre dans un litige très médiatisé, entre Danone et les Chinois avec lesquels l’entreprise avait investi en Chine. Durant les six semaines d’audience, il y avait en permanence dans la salle 45 avocats. Cela ne m’a jamais empêché de travailler.

Quel est l’avantage de l’arbitrage sur un jugement classique ?

L'arbitrage est une procédure généralement appréciée des hommes d'affaires, car elle permet une certaine confidentialité. Ici, Bernard Tapie en 2005.
L’arbitrage est une procédure généralement appréciée des hommes d’affaires, car elle permet une certaine confidentialité. Ici, Bernard Tapie en 2005.© Eric Dessonss/Photo News

Il permet de régler un litige, sans passer par les tribunaux. Le différend est confié à un ou plusieurs arbitres choisis par les parties. Outre sa rapidité, il a aussi un énorme avantage souligné par les hommes d’affaires : sa confidentialité.

Cette confidentialité ne favorise- t-elle pas une proximité avec les milieux d’affaires ? Où est votre indépendance ?

(Il soupire) Ce sont les parties qui décident de la confidentialité. Pas l’arbitre ! Les règles sont claires. Nous devons signer une déclaration d’indépendance. Nous devons vérifier la réalité ou non d’un conflit d’intérêts. Le processus est vérifié par les institutions d’arbitrage. Si le conflit n’a pas été bien traité et qu’il apparaît a posteriori qu’il y avait bien un conflit d’intérêts, comme dans l’affaire Tapie (NDRL : dans son litige avec le Crédit lyonnais), la sentence sera annulée. Un arbitre qui ne serait pas indépendant ne serait pas renommé. D’ailleurs, c’est une des conditions pour faire carrière.

Certains voient dans l’arbitrage un système judiciaire privatisé qui favorise, dans un litige entre investisseurs et Etats, d’abord les investisseurs…

Cette critique, fréquente, n’est pas fondée. Ce sont les Etats qui ont ratifié les conventions bilatérales d’investissements, donnant des droits à des investisseurs et prévoyant que ces litiges soient toujours résolus par voie d’arbitrage. Parfois, l’investisseur gagne, parfois il perd. Il est certain que, dans nos pays, on a une vision, à juste titre, d’un Etat qui agit dans la légalité. Je peux vous dire que ce n’est pas le cas partout.

Dans le cadre du futur Traité transatlantique, certains craignent que la résolution des différends entre investisseurs et Etats dans le cadre de tribunaux d’arbitrage privés ne permette aux multinationales américaines de remettre en cause plus facilement les standards sociaux et environnementaux européens…

Sur le fond, je ne me prononcerai pas. C’est la résolution des litiges qui m’intéresse. Jusqu’à présent, tous les traités prévoient la voie de l’arbitrage pour la résolution de ceux entre investisseurs et Etats. Ce sont eux qui en ont décidé ainsi. L’Union européenne souhaite pourtant revoir ce système. Elle n’a jamais été favorable à l’arbitrage. Les technocrates de Bruxelles considèrent, de par leur statut administratif, que tout ce qui n’est pas nommé par un Etat ne peut pas avoir de pouvoir. Ils imaginent un système où ces litiges seraient confiés à des tribunaux dans lesquels chaque Etat nommerait un certain nombre de juges. C’est un système qui ne fonctionnera pas. En plus, l’Europe est isolée et de nombreux pays sont convaincus que le meilleur système reste l’arbitrage. Il faut sortir de la logique que c’est l’Etat qui perd systématiquement.

C’est aux Etats-Unis que vous devriez résider. Pourquoi êtes-vous resté à Bruxelles ?

J’ai très peu d’affaires en Belgique, peut-être une tous les quatre ans, et encore. Il est vrai que je pourrais m’établir ailleurs. Mais en définitive, en pesant le pour et le contre, la Belgique a beaucoup d’atouts. Nos soins de santé d’une extrême qualité. Notre système de sécurité sociale qui n’a pas que des avantages mais qui reste très protecteur. La Belgique est un pays où il fait bon vivre.

Pourquoi avez-vous peu d’affaires en Belgique ?

Le Belge n’aime pas dépenser de l’argent pour un avocat. C’est traditionnel. Puis, les affaires que je suis amené à traiter sont toujours à la dimension d’un pays. Si vous avez une grosse affaire en Belgique, elle sera dix fois plus importante en France, vingt fois en Angleterre et cinquante fois aux Etats-Unis. Il y a beaucoup plus de gros litiges internationaux ailleurs.

Entretien : Pierre Jassogne – Photo : Hakim Kaghat pour Le Vif/L’Express

Bio express

1947: Naissance le 10 août, à Charleroi.

1970: Doctorat en droit à l’université de Louvain. Il devient assistant en droit international.

1973: Obtient son Master of Laws de la Columbia University à New York.

1975: S’inscrit au barreau de Bruxelles.

2001: Fonde Hanotiau & van den Berg, cabinet spécialisé en arbitrage international.

2016: reçoit à New York le trophée de Lawyer of the Year for Arbitration décerné par le Who’s Who Legal.

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