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Belgique – Congo: je t’aime moi non plus

« Relations privilégiées », « liens historiques » : depuis 1960, ces expressions émaillent les discours officiels belges et congolais lors de visites réciproques. Elles recouvrent des réalités contrastées, les relations entre Bruxelles et Kinshasa étant une succession de phases de tension et d’apaisement.

par O. Rogeau

Le roi Albert II assistera, le 30 juin prochain à Kinshasa, aux festivités du 50e anniversaire de l’indépendance du Congo. On y fera sans doute mention, dans les discours officiels, des « relations privilégiées », des « liens historiques » qui unissent la Belgique à son ancienne colonie. Encore faut-il s’entendre sur la signification de ces termes, alors que l’histoire des relations belgo-congolaises est surtout celle d’une peau de chagrin.

LE VIF : Cinquante ans après l’indépendance du Congo, quel sens faut-il donner aux expressions « relations privilégiées », « liens historiques », que l’on retrouve dans les discours officiels ?

GUY VANTHEMSCHE (professeur d’histoire contemporaine à la VUB) : Ces expressions, apparemment objectives, charrient des messages qui relèvent de l’imaginaire. Elles peuvent véhiculer, chez les Belges comme chez les Congolais, des contenus émotifs, tels que la reconnaissance, le reproche, le devoir, la dette… En fait, de nos jours, seuls les politiciens continuent à employer ces expressions. Les hommes d’affaires, les responsables sociaux et les ecclésiastiques les ont abandonnées depuis bien longtemps. Cette évolution est révélatrice du changement profond qui a affecté les relations, en dents de scie, nouées entre Bruxelles et Kinshasa. La présence belge est marquée par un décrochage progressif, qui s’est déroulé par paliers.

Comment ont évolué les relations belgo-congolaises ?

A l’aube de l’indépendance et jusque dans les années 1965-1967, ils entendent très clairement s’immiscer dans les affaires de l’ex-colonie. La politique intérieure congolaise est un domaine que l’ancienne « mère-patrie » veut absolument modeler. Certes, le 30 juin 1960, les Belges acceptent de remettre « toutes les clés » aux Congolais, pour reprendre la célèbre formule du socialiste Henri Rolin. Mais ils comptent bien disposer de l’emploi de ces clés, par personnes interposées. Derrière chaque dirigeant ou haut fonctionnaire congolais se profilerait un conseiller belge.

Le rêve d’un Congo indépendant guidé par les Belges ne se brise-t-il dès la crise de juillet 1960 ?

La volonté des autorités belges de « téléguider » les responsables congolais est en effet contrariée. Mais l’intervention des troupes belges, dès le 10 juillet, et la rupture des relations diplomatiques avec la Belgique n’empêchent pas Bruxelles de maintenir des contacts étroits avec le milieu politique à Léopoldville, où des conseillers belges sont toujours présents. Dans le même temps, sans l’aide technique, administrative, militaire et financière belge, l’ « indépendance » du Katanga n’aurait jamais pu prendre forme. La Belgique est donc active dans les deux camps. Sa coopération avec Léopoldville s’intensifie dès le rétablissement des relations diplomatiques et dès la prise de conscience, à Bruxelles, qu’un Katanga indépendant n’est pas viable.

Cette politique interventionniste n’est jamais contestée au sein du gouvernement belge ?

Dans les années 1960-1961, la politique de modelage détermine l’action de tous les ministres belges, qu’ils fassent partie du courant « dur » ou qu’ils soient plus modérés. Par la suite, l’aide belge, destinée notamment à renforcer l’armée congolaise face aux insurrections déclenchées en 1964, permet à l’ancienne colonie de ne pas sombrer totalement dans le chaos. Cela dit, la Belgique n’a pas à sa disposition des moyens diplomatiques, militaires et financiers comparables à ceux que la France déploie dans ses anciennes colonies. De plus, les jeux de pouvoir qui opposent Kasavubu, Tshombé et d’autres échappent souvent au contrôle des Belges.

Comment s’estompe cette volonté belge de s’immiscer dans les affaires congolaises ?

Le regretté Jules Gérard-Libois, observateur averti de la scène congolaise, estime que la période de modelage s’achève vers 1966. Elle cède la place à une politique d’accommodement avec un dictateur, Mobutu, dont on espère s’attirer les bonnes grâces pour des raisons économiques, mais aussi géostratégiques. Cette politique a absorbé une bonne partie des énergies diplomatiques belges pendant trois décennies. La Belgique ménage le « président-fondateur », mais perd tout contrôle sur la politique congolaise. Car Mobutu est imprévisible, incontrôlable, et n’attend certes pas de Bruxelles des directives. Il exerce une emprise totale sur les rouages de l’Etat. Les postes de commande économiques échappent aux Belges dès la fin de 1966. Mobutu nationalise alors la principale entreprise minière du pays, l’Union Minière, ce qui déclenche une première crise majeure avec la Belgique.

Les relations belgo-congolaises ne cesseront plus d’être en dents de scie. Qu’est ce qui caractérise cette époque ?

La diplomatie de l’émotion. A chaque retrouvaille, toasts et discours officiels scellent l’amitié, les liens historiques profonds qui unissent les deux peuples. Les Belges sont alors salués par les autorités congolaises comme des bienfaiteurs, comme des membres de la famille, des « oncles », et non plus comme des exploiteurs et des oppresseurs. Mais ce facteur n’exclut pas le calcul. La diplomatie mobutiste fonctionne selon un processus immuable : l’événement déclencheur, puis l’escalade avec menaces et rétorsions, et, finalement, les demandes de compensation matérielles.

En 1981, le Premier ministre Wilfried Martens affirme, au Zaïre, qu’il « aime ce pays, sa population et ses dirigeants ». Une déclaration restée célèbre. C’est à nouveau l’embellie ?

Pas pour longtemps. Elle est suivie d’une succession de crises. Les causes ou prétextes en sont fort divers : une soi-disant « complaisance » belge à l’égard de l’opposition zaïroise, le non-paiement de dettes du Zaïre… Ces moments de tension sont entrecoupés par des périodes de réconciliation, symbolisées surtout par la visite du roi Baudouin à l’occasion du 25e anniversaire de l’indépendance, en 1985. Les accords de Rabat, en juillet 1989, qui prévoient une importante remise de dettes du Congo par la Belgique, font figure d’ultime « raccommodage », avant la longue agonie du régime. Commence alors la période du hands off, de la distanciation. Elle couvre les années 1990 à 1997, date de la chute du dictateur. Au sein du gouvernement belge, une nouvelle génération d’hommes politiques, qui n’a pas connu le « Congo de papa », met davantage l’accent sur le respect des droits de l’homme que sur les liens du passé.

Les historiens distinguent-ils une quatrième période, celle d’un nouvel engagement pour remettre le Congo sur ses rails ?

La diplomatie belge n’a vraiment recommencé à s’investir sur la scène congolaise qu’après le déclenchement de la guerre civile, en 1998. L’année suivante, sous l’impulsion du ministre libéral des Affaires étrangères Louis Michel, les autorités belges se sont efforcées d’obtenir la fin des combats et la conclusion d’un accord de paix. Elles ont suscité un intérêt international en faveur du Congo, aidé à la reconstruction du pays meurtri et à l’organisation d’élections. Malgré le reflux des intérêts économiques belges, le Congo est resté une pièce maîtresse de notre diplomatie. Quand il s’agit de l’Afrique centrale, la voix de la Belgique, ancienne puissance colonisatrice, et donc « spécialiste » de cette région, reste écoutée sur la scène mondiale. Pour autant que les grands décideurs s’intéressent encore à ce coin perdu de la planète !

Bruxelles et Kinshasa ont tourné la page d’une crise de neuf mois causée par les déclarations fracassantes de l’ex-ministre des Affaires étrangères Karel De Gucht sur la corruption au Congo. Où en sont les relations belgo-congolaises, à la veille du voyage royal à Kinshasa ?

Depuis 2007, la Belgique est empêtrée dans de tels soucis économiques et communautaires que le dossier congolais n’est plus prioritaire. La page de la présidentielle congolaise de 2006 tournée, le gouvernement belge ne semble pas avoir défini une stratégie claire à l’égard de la RDC, où l’on votera en 2011. La Belgique n’a pas non plus approfondi sa réflexion sur son passé colonial, mis plus d’une fois sur la sellette ces dernières années. Je suis très curieux d’entendre les paroles qu’utilisera Albert II, le 30 juin, à Kinshasa.

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