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Badra, l’usine à haltérophiles du fin fond de l’Irak

Le Vif

Cette ville de 15.000 habitants à dix kilomètres de la frontière iranienne pourrait être l’une de ces nombreuses localités agricoles qui se résument à une longue artère bordée de petits commerces et de cafés populaires. Mais en tendant l’oreille, les conversations des clients attablés devant un thé brûlant ou une boisson gazeuse tournent généralement autour d’un seul et même sujet: les performances des hercules locaux au lever de poids.

« Avant, les hommes se mesuraient entre eux en soulevant de la fonte, souvent des pièces détachées de voiture », raconte à l’AFP Khoudeir Bacha, un enfant du pays devenu entraîneur de l’équipe nationale d’haltérophilie. En 1974, des jeunes de Badra ont décidé de participer au championnat d’Irak », se rappelle celui qui compta parmi ces pionniers. Avec d’autres, il est allé vers le sud et la province agricole de Diwaniya et ensemble ils ont « raflé tous les prix », raconte-t-il, devant des concurrents qui n’avaient jamais entendu parler de Badra. Depuis, jure-t-il, maillot rouge d’entraîneur sur les épaules, « l’haltérophilie a été associée au nom de Badra », une localité située à 200 km à l’est de Bagdad jusqu’alors plutôt connue pour ses nombreux palmiers, l’arbre national cultivé partout en Irak.

– Nouvelle génération –

Le centre d’entraînement des haltérophiles de Badra a pris ses quartiers en 1993 dans le premier lycée fondé dans la cité en 1945. Et il semble n’avoir pas connu de rénovation depuis. La salle toute en longueur, décrépie et au parquet élimé depuis bien longtemps, résonne des conseils et encouragements du coach Bacha aux athlètes qui ahanent à chaque effort. Autour de tapis éculés, sur les murs à la peinture écaillée, les visages des champions passés par le centre ces dernières décennies s’étalent sur des posters géants. Devant eux, la relève s’entraîne inlassablement pour grimper les marches du podium. Salwan Jassim Abbood, dans la catégorie des poids lourds (105 kg), est revenu en 2017 du Championnat d’Asie d’haltérophilie au Turkménistan avec une médaille d’argent. L’année d’avant, cet Irakien de 26 ans avait participé aux jeux Olympiques au Brésil. Dix ans plus tôt, son frère Mohammad avait gagné, lui, une médaille d’argent lors d’une compétition d’haltérophilie au Qatar.

La nouvelle génération veut « poursuivre ce que Badra a lancé dans le domaine de l’haltérophilie », affirme Salwan Jassim Abbood, jeune homme à la barbe noire fournie, polo vert de l’équipe nationale sur le dos. « C’est à nous et aux entraîneurs de continuer à faire en sorte que Badra reste une usine à champions de lever de poids », poursuit-il. Il représentera l’Irak cet été aux Jeux asiatiques en Indonésie.

– « Perpétuer l’histoire » –

Ahmed Farouq, 28 ans, est lui « fier d’avoir fait de cette petite ville la capitale de l’haltérophilie en Irak et une signature pour les exploits aux niveaux arabe et asiatique ». « De grands noms sont passés par ici et nous devons protéger cette identité », poursuit cet haltérophile. Si le succès est au rendez-vous, déplore le coach Bacha, le budget, lui, ne suit pas. Les instances sportives nationales se désintéressent de Badra et de son club d’haltérophilie, affirme-t-il. Qu’à cela ne tienne, le centre d’entraînement a décidé de s’autofinancer. « Chaque année, le club génère 30 millions de dinars de recettes (un peu plus de 20.000 euros) en louant des magasins qu’il a achetés », explique Mohammad Kazem, ancien athlète international de 55 ans et aujourd’hui directeur du club. Les quelques dépenses engagées, comme l’achat de ces magasins ou d’équipements sportifs, l’ont été grâce aux dons des athlètes de l’équipe nationale qui perçoivent un salaire -de quelques centaines de dollars- versé par l’Etat.

Et même si les moyens sont largement insuffisants, M. Kazem se fait un devoir de former gratuitement de nouvelles générations d’haltérophiles dans sa ville. Régulièrement, avec d’autres découvreurs de talents, il fait le tour des écoles et des clubs de sport des environs, voire au-delà, pour recruter dans sa « pépinière de champions ». Au club, chaque jour des athlètes en herbe soulèvent sans faiblir des poids bien plus grands et surtout bien plus lourds qu’eux.

Certains ont déjà bien grandi, comme Salwan et Ahmed, et décroché des médailles. « C’est la preuve que Badra est la ville numéro un en haltérophilie et aussi la plus attachée à ce sport » en Irak, estime M. Kazem. Et la preuve aussi « qu’il y a des gens qui sont là pour protéger sa réputation et perpétuer son histoire ».

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