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« Bachar el-Assad ne peut plus reprendre le dessus »

L’attentat qui a frappé Damas mecredi a durement touché le régime de Bachar el-Assad. Quelle est la situation dans la capitale ? Le régime peut-il survivre ? Ziad Majed, spécialiste de la Syrie, répond aux questions de L’Express.fr.

Vous êtes en contact avec des militants de l’opposition à Damas. Quelle est la situation sur le terrain ?

Il est devenu très difficile de contacter les militants à Damas. Le régime a coupé Internet et l’électricité dans plusieurs quartiers comme il l’a fait par le passé à Homs, par exemple.

Il y a eu des accrochages toute la nuit entre les forces du régime et l’Armée syrienne libre (ASL), notamment dans le quartier de Midan, près du centre de la capitale. L’ASL contrôlerait plusieurs rues et ruelles, forçant les soldats du régime à se retirer. Mais peut-être qu’ils ont été rappelés pour être déployés ailleurs…

Des combats ont lieu partout dans Damas. Mais il ne faut pas regarder que Damas: le régime riposte à l’échelle nationale. Plus de 230 personnes sont mortes dans ces combats, beaucoup à Homs et à Idleb, où la répression est particulièrement brutale. L’opposition se mobilise aussi à l’échelle nationale – il y a eu d’énormes manifestations à Hama hier.

Avez-vous des informations sur l’attentat ?

On ne sait pas encore de façon certaine s’il s’agit d’un attentat suicide ou d’une bombe qui a été actionnée à distance. Ce qui est sûr, c’est que l’explosion a eu lieu à l’intérieur de la salle où étaient réunis plusieurs responsables de l’appareil sécuritaire du régime. Certains parlent aussi d’une bombe placée dans un faux-plafond, mais cette hypothèse n’a pas été confirmée.

Autre question qui a planifié l’attaque ? L’ASL et un groupe djihadiste, la Brigade de l’islam, l’ont revendiquée. Mais la revendication djihadiste est peu crédible : le régime a, à plusieurs reprises, agité la menace islamiste pour décrédibiliser les rebelles.

Cette attaque a-t-elle eu des conséquences aussi graves pour le régime qu’on le prétend ?

Le coup n’est pas encore mortel, mais il est très très dur pour Bachar el-Assad. C’est le cercle intime qui a été touché avec la mort d’Assef Shawkat (beau-frère d’Assad et vice-ministre de la Défense, il était le véritable chef d’orchestre de la répression). Du temps où il était à la tête du renseignement militaire, il avait eu de nombreux contacts avec les services de renseignement occidentaux. Il luttait contre les djihadistes – mais il les manipulait aussi.

Une autre conséquence, moins visible, est que les Russes comptaient sur les hommes qui composaient la « cellule de crise » [le groupe de dirigeants chargés de la répression, ndlr] pour former un gouvernement de transition…

De plus, l’attentat a eu un impact psychologique très important. De nombreux généraux craignent désormais pour leur vie : la confiance déjà fragile entre ces hommes est entamée. On m’a signalé que de nombreux officiers ont fait défection avec leurs troupes.

Bachar el-Assad a-t-il vraiment fui Damas ?

D’après des rumeurs persistantes, Assad aurait quitté Damas pour Lattaquié. Mais c’est impossible à vérifier. Peut-être s’est-il rendu à Lattaquié, ville alaouite, pour montrer qu’il dispose encore de soutiens, d’une base qu’il peut mobiliser. On a aussi dit que son épouse, Asma, aurait fui en Russie. A mon avis, c’est peu probable. Une chose est sûre: si les responsables du régime envoient leur famille à l’étranger, alors c’est le signe que la fin du régime est imminente.

Doit-on s’attendre à une chute rapide du régime d’Assad ?

Il faut rester prudent. Le régime peut s’écrouler à tout moment, mais il a encore des ressources. Il a des armes et encore une solide base alaouite (branche du chiisme dont est issue la famille de Bachar el-Assad). Mais de nombreux hommes d’affaires et intellectuels se sont d’ores et déjà démarqués du régime.

Quelles options reste-t-il à Bachar el-Assad ?

Il y en a trois. D’abord, Bachar el-Assad peut continuer à réprimer en comptant sur la protection russe et le soutien de ce qui reste de sa base communautaire alaouite. Les combats se prolongeraient.
Autre cas de figure : le régime, s’il perd les villes de Damas et d’Alep, peut s’affaiblir rapidement. Ce serait la fin d’Assad. Enfin, la Russie peut décider d’exfiltrer le raïs pour l’accueillir sur son territoire. Un gouvernement de transition pourrait alors éventuellement voir le jour. Dans tous les cas, Assad ne peut plus reprendre le dessus.

La résolution condamnant le régime de Bachar el-Assad qui doit être votée aujourd’hui au Conseil de sécurité des Nations Unies aura-t-elle un impact sur la situation sur le terrain ?

Les récents développements sur le terrain marginalisent l’importance d’une telle résolution. Aujourd’hui, les rebelles semblent ne plus compter sur une aide extérieure. Le grand perdant, dans l’affaire, est la Russie : elle n’a plus rien à gagner d’une transition négociée!

Plusieurs dirigeants occidentaux ont tiré la sonnette d’alarme, redoutant un débordement du conflit. Y a-t-il des risques si Bachar el-Assad tombe ?

Il y a toujours des risques lorsqu’un régime en place est renversé. Mais je crois surtout qu’il y a une exagération de la part des dirigeants occidentaux. J’ai l’impression qu’ils cherchent à justifier leur incapacité à intervenir. On a beaucoup parlé récemment de guerre civile, des armes chimiques qui pourraient tomber entre de mauvaises mains et du « risque djihadiste ». Mais tous ces risques peuvent être gérés.

Les armes chimiques sont très difficiles à manipuler et comportent des risques pour les utilisateurs. Si Assad décidait de les utiliser, alors il commettrait un suicide collectif. Mais la menace est prise au sérieux par les rebelles : des messages contenant des conseils pour s’en protéger ont été diffusés hier.

L’arrivée du ramadan va-t-elle changer quelque chose ?

Oui, sans aucun doute. Les rassemblements sont plus nombreux en période de ramadan. Chaque soir, après l’Iftar (rupture du jeûne), les Syriens vont se retrouver à la mosquée pour prier. Au-delà de l’aspect religieux, ces réunions ont un fort caractère social. Elles portent l’idée d’une solidarité entre les différentes classes sociales. Si le régime attaque pendant le ramadan, les réactions seront plus fortes, comme cela fut le cas l’année dernière.

Propos recueillis par Gokan Gunes, L’Express.fr

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