© Eric De Ville/ DR

Babel, miroir de l’orgueil

Pour la toute première fois, une exposition explore les créations contemporaines célébrant la Tour de Babel.

Avant même de s’incarner à travers une foule d’images, l’épisode de la Tour de Babel est un texte biblique. Certains semblent l’oublier… Dans la Genèse, la plus célèbre des allégories architecturales s’insère à la suite du Déluge. Ce chapitre désigne la tour et la ville construites par les descendants de Noé de crainte d’un nouveau fléau. Un passage fondamental : il est le premier à faire mention d’une société organisée. Le récit babélien raconte en effet l’histoire d’un groupe d’hommes, unis par « une même langue », qui décident de s’établir dans un lieu légendaire pour y construire une cité et se rassembler sous un même nom.

L’allégorie de la Tour est sans doute inspirée de la Ziggurat Etemenanki de Babylone – « La maison du fondement du ciel et de la terre » – qui permettait au roi et aux prêtres de monter à la rencontre des divinités qui en descendraient du ciel. Avec son sommet en spirale perçant le champ céleste, elle peut être interprétée comme une métaphore de l’orgueil et de la vanité du pouvoir. D’ailleurs, ce mythe s’inscrit assez souvent dans l’actualité. Du moins symboliquement. Lors du renversement d’un régime totalitaire (à l’image du Printemps arabe, tout récemment), la prise du palais du dictateur, parfois même sa destruction, renvoie à celle de la Tour de Babel. L’allégorie se réalise aussi sous nos yeux quand les mégalopoles poursuivent leurs ascensions vers le ciel ou quand le langage Web devient le nouvel esperanto qui relie les hommes en une seule communauté.

Fidèle à l’évolution du récit biblique, l’exposition Babel, organisée à Lille, présente en un panorama stimulant 85 oeuvres, toutes disciplines confondues, illustrant les multiples facettes du mythe babélien dans l’art contemporain : une sculpture de John Isaacs, une gouache sur papier de Gilles Barbier, des fusains de Wolfe Von Lenkiewicz, des compositions photographiques de Eric de Ville, Cédric Tanguy, Jean-François Rauzier et de Vik Muniz, une installation de Jakob Gautel, des dessins de Denis Barjam et de François Schuiten…

Multipliant les références à l’histoire de l’art, les artistes actuels offrent en ces lieux des visions renouvelées des peintures de Brueghel, Cleve, Valckenborch, Verhaecht et Momper. Ces Babel contemporaines sont quelquefois représentées comme des architectures organiques, à travers lesquelles nous reconnaissons notre vanité, l’orgueil de nos actes et la part d’insensé de l’ambition humaine. Dans cette perspective morale et philosophique, ces variantes critiquent en priorité la volonté de puissance. Cette aspiration tourbillonnante et irrésistible vers les sommets qui trouve, en même temps que son acmé, la plus noire des finalités.
Babel, palais des Beaux-Arts de Lille. Place de la République, 59000 Lille. Jusqu’au 14 janvier 2013. www.palaisdesbeauxarts.fr

GWENNAËLLE GRIBAUMONT

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