La plateforme Source sûre a notamment permis de révéler des dysfonctionnements au cabinet du ministre wallon Carlo Di Antonio. © BRUNO FAHY/BELGAIMAGE

Avec « Source sûre », tout le monde peut devenir lanceur d’alerte

Le Vif

Depuis deux ans, Source sûre permet d’adresser anonymement des infos à certains médias. Le site reste cependant méconnu.

Début mars 2016, le quotidien L’Avenir a publié une série d’articles sur des dysfonctionnements à l’Office wallon des déchets (OWD) et au cabinet du ministre Carlo Di Antonio. Les lecteurs ont alors pu remarquer un encart mentionnant Source sûre, un site destiné aux lanceurs d’alerte.  » Ce dossier sur l’OWD illustre l’utilité de ce site, expose Yves Raisière, journaliste à L’Avenir : au vu du début de notre enquête, des fonctionnaires nous ont transmis de nouvelles informations avec la garantie de rester anonymes.  » Source sûre ? Cette plate-forme francophone est méconnue du public. Elle permet à quiconque d’adresser anonymement des informations à certains médias, à charge pour ceux-ci d’y donner éventuellement suite après investigation. En Belgique, la RTBF, L’Avenir, La Libre Belgique et Le Soir y sont impliqués. En France, c’est le cas du Monde, de France Télévision et de L’Obs ; et en Suisse, de la RTS.

Lancée début 2015, Source sûre devait répondre aux risques encourus par les lanceurs d’alerte.  » L’intention, précise Yves Eudes, grand reporter au Monde, n’était pas de révolutionner le journalisme mais de s’adapter à l’importance prise par le numérique.  » En informant les médias, les lanceurs d’alerte risquent d’être traqués, licenciés ou poursuivis en justice.  » Dans un monde où la capacité de surveillance s’accroît, les journalistes ont le devoir de fournir aux sources un canal sécurisé qui permette aussi de répondre au droit du public d’être mieux informé sur les sujets d’intérêt public « , déclare Jean-Pierre Jacqmin, directeur de l’information à la RTBF. C’est en découvrant les apports d’un site semblable aux Pays-Bas que Patrick Remacle (RTBF) et Yves Eudes ont eu l’idée de l’adapter au monde francophone.

Du vécu parfois utile

Après presque deux ans, les médias concernés partagent les mêmes constats : Source sûre n’a pas apporté de grosses révélations comme les Panama Papers mais a donné accès à des informations utiles, par exemple sur des problèmes d’OGM, de malversations par des autorités locales ou des promoteurs immobiliers, d’arnaques à l’investissement, de harcèlement au travail… Ces informations ne sont jamais répercutées comme telles : elles font l’objet d’un traitement journalistique permettant notamment de vérifier leur crédibilité et ne donnent ensuite lieu à publication ou diffusion que si elles portent sur un sujet d’intérêt général. A L’Avenir, quotidien plus axé sur l’information de proximité, certaines alertes sont transférées aux rédactions locales qui, souvent, avaient déjà entendu parler des sujets abordés.

Les journalistes concernés dans les rédactions constatent que Source sûre sert aussi souvent de dernier recours pour des personnes en souffrance face à des actes d’autorité qu’elles jugent arbitraires, des procès qui traînent… Certains évoquent aussi des informations intéressantes mais qui n’ont pas été diffusées par respect de la vie privée, parce que leur crédibilité n’a pas pu être totalement établie ou parce que la source voulait être rémunérée.

La RTBF et Le Soir disent avoir reçu environ 150 alertes via Source sûre. La chaîne publique a assuré un suivi à 30 % d’entre elles dont un tiers environ a abouti sur antenne. L’exception vient de Suisse dont la Radio-Télévision (RTS) n’a reçu aucune information par la plate-forme depuis qu’elle y a adhéré à l’été 2015 ; une particularité que son directeur de l’actualité, Pierre-François Chatton, explique par la méfiance du public helvétique envers les lanceurs d’alerte.

Une forme de démocratie

Le lanceur qui recourt à Source sûre se trouve devant plusieurs choix. Il peut décider d’envoyer ses informations à tous les médias participant à la plateforme (le plus fréquent) ou à certains d’entre eux seulement. La source peut aussi accepter ou refuser d’être recontactée via un code à 16 chiffres qui lui sert d’identifiant.

A l’origine, deux risques avaient été soulignés : l’identification du lanceur d’alerte à son insu et l’encouragement à la délation. Après deux ans, les promoteurs de la plate-forme rassurent : la sécurité de la source est garantie par diverses techniques dont le cryptage, la suppression des traces de connexion à la fermeture de l’ordinateur dédié à cette plate-forme dans les rédactions et l’effacement des métadonnées des documents transmis. Le lanceur d’alerte peut utiliser le logiciel TOR censé le rendre anonyme et intraçable, ce qui n’empêche pas certains de mentionner volontairement leur identité. Comme ses confrères, Alain Jennotte, du Soir, voit dans Source sûre une forme de démocratisation de la protection à laquelle seuls des experts en communication ou en informatique avaient accès. Christophe Lamfalussy, de La Libre, renchérit :  » Source sûre est un outil anti-institutionnel ouvert au public alors que la presse est de plus en plus dépendante de la communication officielle bien ficelée par des professionnels.  »

Le risque de dénonciation abusive, qui a fait hésiter la RTS avant d’adhérer à Source sûre, ne se vérifierait pas dans la pratique selon les journalistes interrogés. D’une part, il préexistait. D’autre part, il est compensé par le sérieux des vérifications opérées par les journalistes avant de décider de publier ou pas les informations reçues. Ce n’est dit qu’à demi-mot mais le sérieux de ce traitement constitue un critère d’adhésion de médias à la plate-forme, apprécié par les membres.

Plusieurs rédactions se plaignent de la faible notoriété de Source sûre qui s’expliquerait d’abord pour une raison pragmatique : pour les médias, la plate -forme s’ajoute aux canaux existants. Le traitement de toutes ces informations prend du temps et demande de la disponibilité alors que, selon un journaliste, la culture de l’investigation aux résultats toujours incertains n’est pas assez répandue dans la profession.

La visibilité de la plate-forme pourrait être accrue par la mention de Source sûre dans les informations diffusées mais les médias participants ne sont pas tout à fait d’accord entre eux à ce sujet. L’Avenir et Le Soir ont parfois assorti les articles de mentions de la plate-forme sans pour autant signaler quelles informations sont venues par ce canal. A la RTBF, on insiste sur la discrétion nécessaire. Une attitude commune serait peut-être utile.

www.sourcesure.eu

Au Vif/L’Express

Le Vif/L’Express fonctionne selon un principe différent : fort de son expérience et de sa notoriété en matière d’investigation, il réagit aux sollicitations directes, envoyées par les citoyens (par courrier, par courriel, par téléphone), en plus de canaux d’information propres à ses journalistes, salariés ou free-lance. Selon la nature « universelle » de l’alerte, selon les possibilités de vérifications aussi, il entame ses enquêtes. Jusqu’à publication, si les faits dénoncés se vérifient.

Th. F.

Par André Linard.

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