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« Avec Daech, pas de compromis possible »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Si  » grande coalition  » anti-Daech il y a, ses partenaires devraient aussi s’accorder sur un processus de paix global et inclusif, selon Tanguy de Wilde, expert en géopolitique à l’UCL.

Le Vif/L’Express : La France intensifie ses frappes en Syrie et plaide désormais pour une « grande coalition » afin de « détruire Daech ». Concrètement, que faire ? Comment intervenir ? Avec qui ?

Tanguy de Wilde : En fait, on peut tout imaginer, sauf l’envoi de troupes occidentales au sol, solution contraire à la doctrine politico-militaire de nos pays. Les seules troupes au sol, à ce jour, sont celles des Kurdes et de l’armée irakienne, qui se restructure après avoir subi des débâcles face à Daech. On peut renforcer ces combattants locaux, mais ils n’arriveront pas, à eux seuls, à reprendre les zones contrôlées par l’Etat islamique. De plus, les Occidentaux ne veulent pas que la récupération de ces régions se fasse au prix de massacres de sunnites, comme cela a déjà été le cas. Si la coalition renonce à intervenir au sol, elle doit s’appuyer davantage sur les élites et les tribus sunnites. Il ne faudrait pas que la reprise de territoires occupés par Daech ressemble à l’offensive soviétique contre l’Allemagne nazie, au cours de laquelle les soldats de l’Armée rouge ont massivement pillé, volé, violé. Une attitude revancharde sèmerait des grains de désespérance dans les zones irakiennes et syriennes libérées.

Comment, après les attentats de Paris, peut évoluer la lutte contre l’Etat islamique ?

Au minimum, il y aura une coordination renforcée entre les pays résolus à lutter contre Daech, y compris la Russie et l’Iran. Au mieux, on verra se structurer une véritable coalition, solution prônée par Poutine d’abord en sourdine, puis à la tribune de l’Onu. Le président russe fait volontiers le parallèle avec la lutte contre le nazisme, menée conjointement par l’Union soviétique et les Occidentaux. Reste à déterminer si cette « Sainte Alliance », excusez l’expression, peut laisser hors-jeu le président syrien, politique suivie depuis 2011 par les Occidentaux. On voit mal comment « détruire Daech » en restant divisés sur l’attitude à adopter à l’égard du régime syrien.

Moscou appelle depuis des mois la coalition à se concerter avec Damas pour mener ses frappes contre l’Etat islamique. Une solution envisageable ?

On peut surtout imaginer un changement de politique et prendre au mot la diplomatie russe : OK pour une coalition forte anti-Daech, mais, en contrepartie, on s’accorde sur un processus de paix similaire à celui qui, en 1990, a mis fin à quinze années de guerre au Liban. Le conflit libanais n’était-il pas aussi complexe que celui qui ravage la Syrie ? Un tel processus de paix signifie discuter avec tout le monde, y compris avec les représentants du régime alaouite en place à Damas. Mais, in fine, Bachar al-Assad ne serait pas remis en selle. C’est le compromis imaginable à l’heure actuelle. Il serait le résultat d’un processus global et inclusif : d’abord un cessez-le-feu, puis le retour au vivre ensemble. Bien sûr, la Syrie de demain ne sera pas celle d’avant 2011.

Et avec l’Etat islamique, un cessez-le feu est-il imaginable ?

De nombreux conflits, longs et compliqués, ont trouvé leur terme du fait de l’épuisement des belligérants : guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988, du Liban entre 1975 et 1990, de Bosnie entre 1992 et 1995. L’idéal est alors d’aboutir à un cessez-le-feu et, le cas échéant, à un compromis. Mais, à voir le comportement de Daech, il n’y aura pas de compromis possible avec ces djihadistes. Jamais il n’y aura, avec eux, ce qu’on appelait autrefois la « paix des braves ».

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