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Aux Emirats, des Afghans tissent des nasses de pêche pour la vie (en images)

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Cet homme de 50 ans à la barbe poivre et sel prend place aux côtés de ses compagnons de travail, commençant par prier en se tournant vers La Mecque. Puis il sirote son premier thé, un moment de sérénité avant le début de l’activité.

Kalba est située sur la côte orientale des Emirats arabes unis. Contrairement à la capitale Abou Dhabi, à 200 kilomètres à l’est et qui fait face aux Etats du Golfe arabe, cette ville est perchée sur le golfe d’Oman, tournée vers le Pakistan et l’Inde.

Dans ce pays en paix et riche en pétrole, Kalba, connue pour ses mangroves, est devenue un haut lieu du tissage des nasses de pêche. Afghans et Pakistanais viennent y gagner leur vie.

La nasse de pêche, appelée « dawabi » et utilisée dans le golfe d’Oman, a la forme d’un igloo avec une entrée ovale où les poissons peuvent nager à travers un passage rétréci, mais ne peuvent pas s’échapper. C’est un piège.

Elle est tissée méticuleusement avec du fil de fer très fin.

« De l’argent pour ma famille »

« Chaque nasse nécessite sept ou huit heures de travail ininterrompu », explique Nour.

Cet Afghan père de trois enfants est loin de sa famille et de Khost, sa ville natale située près de la frontière pakistanaise et marquée par la guerre.

« Je travaille ici depuis neuf ans », dit-il.

Il explique fabriquer une à deux nasses de pêche métallique par jour et gagner 25 dirhams (environ 6 euros) pour chacune.

Nour reste à Kalba malgré les longues heures de travail, la chaleur parfois oppressante et les rendements financiers relativement faibles. « Je suis heureux car je peux gagner l’argent à envoyer à ma famille à la fin du mois », assure-t-il.

Il n’est pas le seul dans ce cas. Depuis des décennies, les Emirats arabes unis ont attiré des millions d’Afghans, de Pakistanais, d’Indiens, de Bangladais, de Philippins et de ressortissants d’autres pays d’Asie, prêts à exercer des métiers manuels, contrairement aux riches habitants locaux.

A Kalba, les travailleurs ont entre 18 et 60 ans. Les employeurs, représentant une cinquantaine de petites entreprises émiraties installées dans cette zone industrielle, fournissent des logements partagés pour les hommes, de la nourriture et du thé.

Pas de week-end

Les hommes travaillent dans leurs propres espaces ouverts avec des toits de chaume pour se protéger du soleil.

Il n’y a pas de jours de congé. Au lieu de cela, tous les deux ans, les travailleurs reçoivent un billet d’avion vers leur pays d’origine pour des « vacances » non rémunérées de six mois. Pour beaucoup, cette pause sans salaire est trop longue, mais c’est une exigence liée à la législation du travail aux Emirats.

La fabrication des nasses est un métier exigeant car l’ouvrier doit simultanément saisir et attacher des fils métalliques fins de façon uniforme et très rapidement pour empêcher l’ensemble de la structure de s’effondrer avant la fin du tissage.

Pour éviter les blessures, les hommes attachent des morceaux de tissu ou d’aluminium fin autour de leurs doigts.

Les seuls sons entendus sur ce lieu de travail sont les bulletins d’information afghans ou pakistanais émanant de petits téléviseurs ou de la musique qui s’échappe de téléphones portables.

« Mes cheveux deviennent gris »

Herat, 30 ans, écoute de la musique de son pays natal, l’Afghanistan, sous un auvent de paille.

« Ce petit ventilateur me permet de traverser l’été » quand les températures tournent autour des 50 degrés Celsius, explique-t-il en manipulant habilement les fils métalliques.

Il vit à Kalba depuis trois ans. « La chaleur ne nous empêche pas de travailler », souligne-t-il.

Akbar, un père de 55 ans, raconte être arrivé il y a trois décennies en provenance de sa ville natale de Peshawar, au Pakistan.

« C’est vrai que mes cheveux deviennent gris, mais je me sens toujours comme un jeune homme », assure-t-il avant d’ajouter: « En tout cas, il n’y a pas de travail au Pakistan. »

Soudain, Akbar se lève, saisissant une corde bleue attachée au plafond. Il recule de deux pas et saute rapidement sur la nasse d’un mètre de haut avec un atterrissage parfait dans l’ouvrage inachevé.

« Cela fait trente ans et je fais ce saut tous les jours », plaisante Akbar, sous les applaudissements de ses collègues.

Au coucher du soleil, le sentier sablonneux qui traverse la zone est bordé de nasses de pêche terminées.

Nour sirote une dernière tasse de thé juste avant minuit. Il dit qu’il ne quittera Kalba que s’il trouve un emploi dans son pays toujours en guerre. En fait, « je partirai quand je serai vieux ».

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