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Aux abords du tunnel sous la Manche, la routine des migrants prêts à tout pour gagner l’Angleterre

Le Vif

Dans le bus n°1 de Calais qui mène au tunnel sous la Manche, une dame s’agrippe à son sac à main. Autour d’elle, des Erythréens, des Afghans, des Soudanais. Ce mercredi comme chaque soir: ils vont tenter de quitter clandestinement le nord de la France pour l’Angleterre.

Quand on campe dans la « New Jungle », le bidonville des migrants de Calais, l’itinéraire est tortueux pour espérer, peut-être, gagner Londres, en échappant à tous les contrôles et obstacles.

Il faut d’abord longer, le soir, le chemin de fer jusqu’à l’arrêt d’un autre bus, n°2. Une vingtaine de personnes sont déjà là, équipées pour la nuit: anorak contre le froid, keffieh contre les gaz lacrymogènes de la police, gants contre les barbelés qui clôturent le site d’Eurotunnel.

Quand l’autocar arrive, deux agents s’assurent que les migrants règlent leur ticket, un euro. « Parce que sans ça, ils se feraient un plaisir de pas payer », bougonne l’un d’eux.

La correspondance avec la ligne n°1 s’effectue au centre de Calais. Là, d’autres migrants, peut-être des Syriens, se joignent au groupe. Sans un mot.

A la descente du bus, dans une zone résidentielle aux maisons de briques rouges, la cohorte des clandestins s’est allongée. Une cinquantaine d’entre eux longent en silence un supermaché discount, sous le regard blasé des habitants.

« Quand ils passent, ils nous regardent en se foutant de nous », maugrée un riverain moustachu, campé en tongs et chaussettes, bras croisés, devant son entrée.

Pour les migrants, la prochaine épreuve arrive: traverser l’autoroute à six voies, à plusieurs reprises, en ignorant les coups de klaxon et en gardant toujours un oeil sur les enfants.

Chacun a son chemin pour rejoindre les abords du tunnel, mais au final, beaucoup se retrouvent au même endroit: un champ face à une station d’essence, où l’on pénètre en enjambant une barrière en fil de fer.

C’est un espace accidenté, avec un vaste lac artificiel, d’où l’on aperçoit la gare et les trains, où les migrants espèrent se cacher pour traverser la Manche de nuit. Un objectif hasardeux: neuf ont trouvé la mort depuis début juin. Le dernier décès remonte à mardi.

‘Go ! Go ! Go !’

Les clandestins, dont le nombre dépasse désormais la centaine, attendent avachis dans l’herbe, face à une dizaine de gendarmes.

« Go ! Go ! Go! », hurle soudain un homme en veste grise, entraînant dans son sillage des dizaines de personnes, qui se lèvent d’un bond et courent dans tous les sens.

Les gendarmes ne résistent pas longtemps avant de les laisser filer. « C’est bon, c’est bon… », grommelle leur chef. Le pschitt des bombes lacrymogènes, le hurlement des sirènes et le bourdonnement de l’hélicoptère ne sont là qu’en gadget.

Les migrants avancent par à-coups: ils sprintent jusqu’à croiser de nouveaux gendarmes — qui crient mollement « Go back ! » –, mais renoncent toujours face au nombre.

Il leur faut ensuite se frayer un passage vers les rails, bordés par un fossé rempli d’une eau crasseuse et une clôture d’au moins 3 mètres de haut surmontée de barbelés. Le tout sous la lumière de puissants projecteurs.

Certains y parviennent, ponctuellement, à un endroit où le barbelé est endommagé, à la faveur d’un pont de fortune — des branches — au-dessus du fossé, et d’une corde bricolée… avec un pull-over. Ils s’évanouissent ensuite dans l’obscurité.

Mais la plupart des migrants restent groupés sur la route principale, devant la sortie des véhicules qui ont traversé la Manche. Une grille leur bloque l’accès aux trains tout proches. « Open! », implore l’un d’eux, désespéré.

Ils s’assoient, bloquant la circulation pendant au moins une heure, avec l’espoir vain de contraindre les forces de l’ordre à les laisser passer. Puis ils renoncent, pour cette fois. Certains vont rester la nuit. Tous retenteront leur chance demain.

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