Gérald Papy

Automne arabe, printemps tunisien

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Fallait-il endurer autant de souffrances, pleurer autant de morts pour, in fine, rétablir au sommet du pouvoir les héritiers des dictateurs déchus ? L’improprement nommé « printemps arabe » se réduira-t-il, au regard de l’Histoire, à une parenthèse dans la gouvernance autoritaire des pays du pourtour méditerranéen et du golfe persique ?

Révolte étouffée à Bahreïn, continuité politique au Yémen, guerre clanique en Libye, tentative de réhabilitation du régime de Bachar al-Assad en Syrie, mainmise de l’armée et répression des Frères musulmans en Egypte dans une version orientale du « business as usual »… Et, depuis les élections législatives du 26 octobre, retour sur les devants de la scène politique en Tunisie de caciques des dictatures d’Habib Bourguiba et de Zine el-Abidine Ben Ali. Le rêve démocratique qui a germé un jour de décembre 2010 dans une petite ville du sud tunisien, Sidi Bouzid, n’est-il plus qu’une illusion ?

On sait depuis la Révolution française que les mutations nées de révoltes populaires s’inscrivent dans un temps long parsemé d’allers-retours entre réforme et restauration, entre terreur et pacification. Tout jugement hâtif est donc, par essence, aléatoire. Mais il faudrait faire montre d’un optimisme béat pour pronostiquer que les conditions de vie du citoyen syrien ou égyptien dépasseront en qualité, même à moyen terme, celles qu’il connaissait avant 2011. C’est la raison pour laquelle, malgré ses imperfections et les écueils qu’il n’évitera peut-être pas, le processus de démocratisation que connaît la Tunisie est une bouffée d’oxygène en même temps qu’une planche de salut.

Le processus de démocratisation en Tunisie est une bouffée d’oxygène et une planche de salut

La Tunisie a connu depuis la révolution ses secondes élections législatives, sans violences et avec, a priori, moins de fraudes. Une majorité des islamistes tunisiens se conforment au jeu démocratique. Leur fer de lance, le parti Ennahdha, a reconnu la victoire du parti laïque Nidaa Tounes (Appel de la Tunisie). Une coalition n’est pas exclue entre les deux principales formations politiques, Voilà, conjuguées à une Constitution qui limite la place de la religion, des raisons d’espérer en une forme d’alternance qui enracine la stabilité démocratique.

Mais les hypothèques sur celle-ci n’en sont pas moins grandes. Les deux partis laïques qui dirigeaient la Tunisie en coalition avec Ennahdha ont été laminés lors du scrutin. Au-delà de la sanction d’erreurs de gestion, leur échec démontre la difficulté des forces démocratiques aux sources du « printemps arabe » à transformer leur contestation en proposition politique. Attelage hétéroclite allant du centre-gauche à la droite et aux fidèles de l’ancien régime, Nidaa Tounes peut à cet égard être la meilleure (un front uni des démocrates laïques) ou la pire (une alliance qui éclatera au premier revers) des solutions. D’autant que, malgré la relative modération d’Ennahdha, la Tunisie est confrontée à une minorité islamiste radicale particulièrement dangereuse, symbolisée par le mouvement local Ansar al-Charia, aujourd’hui réprimé, et une exportation record de djihadistes (de 2 000 à 3 000) dans les conflits libyen, syrien et irakien.

La mue tunisienne vers la démocratie est d’autant plus scrutée et précieuse qu’elle est fragile. Son échec ne scellera pas la question très européocentriste de la compatibilité de l’islam avec le pluralisme. Après tout, le plus grand pays musulman, l’Indonésie, a vécu en octobre une transition politique douce avec l’accession au pouvoir de Joko Widodo, premier président élu sans lien avec la dictature Suharto. En revanche, le succès de l’expérience tunisienne constituerait un formidable adjuvant pour tous les démocrates arabes que l’Occident, empêtré dans la crise et la quête de partenaires fiables, fussent-ils autoritaires, a eu tôt fait d’abandonner à leur sort.

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