Thierry Bellefroid

Aung San Suu Kyi et les Rohingyas : cher Mohandas Karamchand Gandhi…

Vous êtes un peu le Che Guevara de la non-violence, votre visage est aussi connu que celui du héros de la révolution cubaine, même si vous faites moins recette que lui sur les T-shirts.

Il n’empêche, votre méthode basée sur la désobéissance civile de masse et sur la résistance non violente a fait de vous un mentor pour des gens aussi illustres que Martin Luther King et Nelson Mandela. Sans doute avez-vous également servi de modèle à la Dame de Rangoon, Aung San Suu Kyi, durant toutes ces années où elle a défié le pouvoir de le junte birmane. Vous, vous tentiez d’arracher l’indépendance de l’Inde, vous posant en héraut de la décolonisation. Elle, elle entendait protester contre la confiscation de son pays par les militaires.

Aujourd’hui, cher Mahatma, on peut dire que vous êtes une idole. Tout comme la Dame de Rangoon. Assignée durant deux décennies à résidence, Aung San Suu Kyi a séduit le monde entier, ou presque. Prix Nobel de la paix 1991 pour  » sa lutte non violente en faveur de la démocratie et des droits de l’homme « , elle ploie sous les autres récompenses internationales. Plus que vous, en somme, qui ratâtes le prix Nobel de la paix en 1937, 38, 39, 47 et même, à titre posthume, en 1948. La compétition s’arrête là.

Aung San Suu Kyi est aujourd’hui la plus haute autorité politique de son pays. Certes, la présidence lui a échappé pour des raisons constitutionnelles, mais elle cumule plusieurs postes ministériels et incarne la nouvelle direction du Myanmar. Pour autant, les militaires n’ont pas disparu et l’armée conserve un pouvoir important. Dans la province d’Arakan, la minorité musulmane des Rohingyas est bien placée pour le savoir. Persécutée, déplacée, cette peuplade  » apatride  » n’a trouvé aucune parole de réconfort dans la bouche de la Dame de Rangoon.

Et vous, alors, cher Gandhi ? Vous dont l’histoire considère aujourd’hui sévèrement les années de jeunesse en Afrique du Sud ? Vous, l’apôtre de la décolonisation, qui avez à plusieurs reprises décrit les Noirs comme des gens paresseux, incultes, non civilisés. Faut-il y voir un rapprochement avec Aung San Suu Kyi ? L’un comme l’autre, seriez-vous des racistes à peine voilés ?

Mon cher Mahatma, je crois que ce que l’histoire a retenu de vous, c’est votre message de résistance et de paix. Et c’est sans doute très bien comme ça. Même si votre propre petit-fils admet aujourd’hui que vous n’étiez pas un modèle de compassion envers les Noirs d’Afrique du Sud, vous étiez encore bien jeune à l’époque. Et vous avez suffisamment rappelé ensuite votre attachement à un monde de tolérance et de métissage. Votre dernier combat contre la partition de l’Inde en 1948 montre que vous rêviez d’un seul pays abritant musulmans et hindous. On peut vous reprocher de ne pas avoir remis en cause le système des castes. Mais vous avez utilisé votre arme, le jeûne, à plusieurs reprises, en faveur de la reconnaissance des Intouchables. Pour votre lointaine disciple birmane, c’est plus compliqué. Calcul politique ? Difficile de se mettre les militaires et son électorat bouddhiste à dos ? Possible. Vous en savez sûrement plus que moi à ce sujet. Une chose est sûre, mon bon Mahatma : c’est dur de rester une icône.

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