Le président Nicolas Maduro, au pouvoir depuis 2013. Aujourd'hui, "il n'en a plus pour longtemps, ses jours sont comptés", estime un historien. © L. RAMIREZ/AFP

Au Vénézuela, la dérive fatale du dictateur Maduro

Le Vif

Après deux mois de contestation et une cinquantaine de morts parmi les manifestants, la répression s’accroît au Venezuela. Mais la population n’a plus rien à perdre.

Au Venezuela, ces jours-ci, une seule chose s’améliore : le sadisme d’Etat. Début mai, des manifestants placés en garde à vue dans l’Etat de Carabobo (100 kilomètres à l’ouest de la capitale) ont ainsi été obligés de manger des spaghettis aux excréments. La technique de torture est bien rodée : d’abord, on approche de la poudre lacrymogène sous le nez des détenus, ce qui les oblige à ouvrir la bouche ; ensuite, le  » mets  » est introduit de force. Puis, le prisonnier est contraint d’avaler. La répression monte également d’un cran sur le terrain : pour éliminer des émeutiers sans être accusée de tirer sur eux à balle réelle, la police vise la poitrine des manifestants avec des cartouches de gaz lacrymogène. A une distance de deux mètres, de tels  » accidents de tir  » permettent de donner la mort sans alerter l’opinion internationale. Deux mois après le début des émeutes, le nombre des victimes approche la cinquantaine. Autre vice employé par la dictature : des fausses petites annonces publiées sur des sites de vente en ligne proposent des masques à gaz d’occasion (un produit en rupture de stock dans le pays). Lorsque les acheteurs se présentent pour la transaction, ils sont aussitôt tabassés, embarqués, emprisonnés, torturés et déférés devant… des tribunaux militaires ! Une pratique judiciaire qui est la négation même de la démocratie.  » Un niveau d’ignominie inédit a été atteint « , analyse Pedro Garcia Sanchez, sociologue et analyste politique vénézuélien.  » Tous les jours, de nouvelles vidéos montrant des actes inhumains sont publiées sur Twitter, où l’on voit des gendarmes, des soldats ou des bandes armées s’acharner sur des jeunes à terre et se livrer à des violations flagrantes des droits de l’homme.  »

Banqueroute, pénurie alimentaire, mortalité infantile

Depuis le 30 mars dernier, le Venezuela, 30 millions d’habitants, est au bord du précipice. Ce jour-là, le Tribunal suprême de justice (aux ordres du gouvernement) abolit le pouvoir législatif de l’Assemblée nationale (où l’opposition est majoritaire depuis un an).  » Depuis le 30 mars, le Venezuela est une dictature, mais… dans un cadre constitutionnel, estime le père jésuite Luis Ugalde, une voix qui pèse. Autrement dit, la Constitution est démocratique, mais le gouvernement est dictatorial.  » A vrai dire, à la lecture des pancartes affichées dans le hall de l’aéroport international ou au pied du téléphérique de Caracas, on s’en doutait un peu :  » Aqui no se habla mal de Chavez  » (ici, on ne dit pas de mal de Chavez), est-il écrit en lettres majuscules rouges.

Tous les jours, des vidéos montrent des forces de l’ordre s’acharner sur des jeunes à terre

Au  » coup d’Etat institutionnel  » du 30 mars – condamné publiquement par la procureure générale de la République, Luisa Ortega Diaz, pourtant issue des rangs gouvernementaux – s’ajoute la banqueroute. Malgré ses réserves de pétrole, les premières au monde, le pays souffre de pénurie alimentaire et de malnutrition, au point que le poids moyen des Vénézuéliens a diminué de 5 kilos en quatre ans. Les hôpitaux manquent de médicaments. La mortalité infantile a augmenté de 30 % en un an. Ceci s’explique entre autre par cela : parmi les plus proches conseillers économiques du président Nicolas Maduro se trouvent le Cubain Orlando Borrego, 81 ans, bras droit d’Ernesto Che Guevara lorsque celui-ci dirigeait l’industrie du sucre cubaine, à l’époque rapidement menée à la faillite.

Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas la récente chute des cours du pétrole qui explique la crise actuelle. Durant la longue présidence d’Hugo Chavez (1999-2013), le cours du baril passe de 8 à 150 dollars. La manne pétrolière dont il bénéficie dépasse les 1 100 milliards de dollars… dont la moitié ne figure pas au budget de l’Etat ! Non content de dilapider ce trésor, le prédécesseur de Nicolas Maduro casse l’entreprise de pétrole PDVSA, pilier du pays depuis cent ans et nationalisée en 1975, en renvoyant 18 000 travailleurs et cadres expérimentés. Clientéliste, il les remplace par 100 000 militants chavistes non qualifiés. Les journaux et médias critiques sont fermés. Les journalistes se réfugient dans le digital et les réseaux sociaux. Les prisons accueillent leurs premiers prisonniers politiques. A la mort de Chavez, en 2013, son successeur, Nicolas Maduro, hérite d’un pays en ruine économique et morale. Ce dernier aggrave encore la situation en annulant des élections régionales en 2016.

Un manifestant à Caracas, le 18 mai dernier. Lorsqu'ils sont arrêtés, les jeunes civils sont déférés devant des tribunaux militaires. Une procédure antidémocratique.
Un manifestant à Caracas, le 18 mai dernier. Lorsqu’ils sont arrêtés, les jeunes civils sont déférés devant des tribunaux militaires. Une procédure antidémocratique.© J. BARRATO/AFP

Ce n’est pas la première fois que des manifestants se lancent contre l’autoritarisme du pouvoir. Mais, à la différence de 2014 (42 jeunes tués), les émeutes ne se limitent plus à la capitale, Caracas : elles se déroulent dans tout le pays.  » Surtout, les contestataires de la classe moyenne sont rejoints par des habitants des quartiers populaires, déçus du chavisme, désespérés « , souligne Nelson Bocaranda, un journaliste bien informé (il fut le premier à annoncer le cancer de Chavez, malgré les dénégations de la présidence). Autre différence : la jeunesse étudiante s’impose désormais comme le moteur du mouvement, dépassant les leaders traditionnels d’opposition.  » Les gens n’ont plus rien à perdre « , ajoute Bocaranda qui confirme la présence de dizaines d’avispas negras (guêpes noires) en civil, ces troupes d’élites cubaines prêtées par Raúl Castro afin de mater la rébellion.

 » Sur la défensive, Nicolas Maduro n’en a plus pour longtemps : ses jours sont comptés « , estime, à Caracas, l’historien German Carrera Damas, auteur du livre prophétique El Culto a Bolivar ( » Le culte de Bolivar « , 1969), dans lequel il prédisait l’instrumentalisation de la figure du Libertador par les politiciens démagogues de son pays, bien avant qu’Hugo Chavez ne qualifie de  » bolivarienne  » la république vénézuélienne. Peut-être le vieil historien a-t-il raison. Mais Maduro, outre ses forces de coercition, a plus d’un tour dans son sac. Selon un scénario, ses alliés cubains, toujours prêts à se présenter en faiseurs de paix (comme, par exemple, en Colombie voisine), pourraient appeler à des négociations – sous une égide internationale et avec l’appui du Vatican, dont les relations avec La Havane sont au beau fixe. Pour Maduro, une telle manoeuvre dilatoire aurait l’avantage de démobiliser les manifestants et de tuer la contestation. Mais, dans cette guerre civile asymétrique, le temps de la négociation n’est-il pas déjà dépassé ?

Par Axel Gyldén.

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