© Reuters

Au Tibet, la révolte par l’immolation

Quatre ans après le soulèvement de la région sous administration chinoise, des moines bouddhistes se suicident par dizaines par le feu. Ils protestent ainsi contre la politique de Pékin, qui répond par la manière forte.

Son nom était Nangdrol et, le 19 février, ce jeune bonze s’est transformé en torche humaine. Il avait 18 ans. Depuis onze mois, au moins 22 Tibétains, moines bouddhistes en majorité, ont tenté de se sacrifier par le feu afin de protester contre la politique chinoise; les organisations protibétaines en comptent six depuis le début du mois. Chacune de ces immolations appelle la question d’un nouveau soulèvement, semblable à celui qui écorcha il y a quatre ans la région sous administration chinoise.

Cette fois, la plupart des incidents ne se produisent pas dans la région autonome du Tibet à proprement parler, mais dans les contrées peuplées en majorité de Tibétains parmi les provinces chinoises de l’Ouest. Quinze immolations ont eu lieu dans la préfecture d’Aba (nord du Sichuan), dont dix autour du monastère de Kirti: l’accès y est désormais interdit à la presse et la présence armée est nettement renforcée. Les photos des moines et anciens moines, transmises par SMS dans la communauté, amènent de jeunes religieux à envisager cette forme de révolte.

Si la protestation par le feu ne touche physiquement que sa propre victime, elle symbolise l’échec de la politique menée par Pékin, qui offre routes et infrastructures, mais musèle toute velléité politique, place le bouddhisme tibétain sous strict contrôle et interdit de vénérer sa plus haute autorité, le dalaï-lama, présenté comme un « loup en habits de moine ».

La majorité de la population semble approuver le Parti

Alors que les soulèvements de paysans expropriés ou d’ouvriers exploités provoquent une réflexion, à la tête du Parti communiste, sur d’éventuelles réformes à mettre en oeuvre, ce n’est pas le cas du Tibet. Et la population d’ethnie Han, majoritaire dans le pays, semble approuver le Parti sur la question tibétaine, souvent réduite à son volet territorial.

En ayant recours à la répression, « le gouvernement alimente une spirale négative », constate le tibétologue Robert Barnett, de l’université de Columbia. Selon lui, ce n’est qu’à partir des années 1980 que la République populaire a commencé à appliquer dans ces monastères, hors de la région autonome du Tibet, sa politique de « patriotisation » contre le dalaï-lama. Celle-ci est vécue comme une provocation par les Tibétains, juge le Pr Barnett. D’autant que de nombreux jeunes découvrent que l’histoire qui leur est enseignée est loin de la réalité des violences subies, notamment au milieu des années 1950, par leurs aïeux.

À ce contexte général s’ajoutent des divergences d’approche. À Aba, par exemple, les soldats chinois ont ouvert le feu à balles réelles, selon l’organisation Free Tibet. « C’est au Sichuan que les autorités répondent le plus agressivement », souligne Robert Barnett.

La plupart des immolations dans les autres provinces seraient des actes de solidarité avec Aba. Mais la contagion pourrait gagner, tandis que, au sein des forces de sécurité, la ligne dure semble s’imposer. Secrétaire du PC de la région autonome, Chen Quanguo a appelé les officiels locaux, il y a quelques semaines, à « se préparer à la guerre contre le sabotage sécessionniste ».

De notre correspondant Arthur Henry, L’Express

Rééducation?

Selon Human Rights Watch, plusieurs centaines de Tibétains, passés dans le nord de l’Inde afin de suivre les enseignements du dalaï-lama entre le 31 décembre et le 10 janvier, ont subi, à leur retour en Chine, une « rééducation politique » – la première du genre depuis les années 1970. Ils seraient détenus pour une durée indéterminée, ajoute l’organisation de défense des droits de l’homme. Dans un apparent signe de détente, le gouvernement chinois avait laissé sortir du territoire quelque 7 000 personnes. Mais le vent semble avoir tourné suite à la vague d’immolations au Sichuan.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire