Paul Kagamé © Reuters

Attentat Habyarimana: l’enquête française relancée par un dissident rwandais qui accuse Kagame

L’enquête française sur l’attentat contre le président rwandais Juvénal Habyarimana en 1994, épisode déclencheur du génocide des Tutsi, n’est pas terminée: les juges ont demandé l’audition d’un ancien général entré en dissidence, qui accuse l’actuel chef de l’Etat Paul Kagame.

Ancien chef d’Etat-Major de l’armée rwandaise (1994-2002), avant de se réfugier en Afrique du Sud où il a fait l’objet d’au moins deux tentatives d’assassinat, condamné à 24 ans de prison au Rwanda, l’ex-général rwandais Faustin Kayumba Nyamwasa est aussi visé par la justice française.

En 2006, ce cofondateur de l’ex-rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR) faisait partie des neuf personnes visées par des mandats d’arrêt lancés par l’ex-juge Jean-Louis Bruguière contre des proches de Paul Kagame, un acte qui avait poussé Kigali à rompre ses relations diplomatiques avec Paris.

Si une détente s’est amorcée depuis, Kigali accuse toujours l’armée française d’avoir été impliquée dans le génocide et déplore la lenteur de la justice à juger les génocidaires exilés en France.

Sept mandats d’arrêt ont été levés après les mises en examen (inculpations) en 2008 et 2010 des protagonistes, qui veulent un non-lieu dans cette enquête, ouverte à Paris car l’équipage de l’avion abattu dans lequel se trouvait le président rwandais était français.

Le camp Kagame veut pour preuve de son innocence les expertises techniques présentées début 2012 par les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux, qui avaient cité comme zone de tir des missiles « la plus probable » un camp alors tenu par la garde présidentielle du Hutu Juvénal Habyarimana.

Des éléments renforçant la thèse d’un attentat commis par des extrémistes hutu pour se débarrasser d’un président jugé trop modéré, comme l’a conclu une commission d’enquête au Rwanda, où le FPR, après des années de combats depuis l’Ouganda où était réfugié Kagame, a pris le pouvoir en mettant fin au génocide.

Témoin-clé ou manoeuvre?

Toujours officiellement visé par un mandat d’arrêt, Faustin Kayumba n’a pas été interrogé, malgré les demandes précédentes des juges français à l’Afrique du Sud. L’enquête avait été close, une première fois à l’été 2014, puis une deuxième fois début 2016, dans l’attente des réquisitions du parquet de Paris et de la décision finale des juges d’instruction.

Mais M. Kayumba, devenu un opposant à Paul Kagame, a renouvelé sa demande pour être entendu, ont rapporté à l’AFP des sources proches du dossier et judiciaire. Cette fois, il y a ajouté une déposition devant notaire, à Pretoria le 23 juin, où il met à nouveau directement en cause le président rwandais comme instigateur de l’attentat.

Au soir du 6 avril 1994, il aurait appris de la bouche de Paul Kagame lui-même que « l’avion du président Habyarimana avait été abattu par (nos) propres troupes » du FPR, selon sa déposition dont l’AFP a eu connaissance.

« Les planificateurs sont Paul Kagame, James Kabarebe (actuel ministre de la Défense) et Charles Kayonga », les deux derniers faisant partie des mis en examen. « Ces trois utilisaient un réseau distinct et secret de communications en ayant recours à des émetteurs-récepteurs portables », accuse encore Faustin Kayumba, qui donne aussi les noms de deux exécutants, les mêmes que ceux visés dans l’enquête.

De son côté, Faustin Kayumba se met lui-même hors de cause et réfute les versions des témoins du juge Bruguière, dont certains s’étaient rétractés.

Avocat, avec son confrère Bernard Maingain, des sept mis en examen, Me Leon Lef Forster fustige « une énième manoeuvre dilatoire qui vise à retarder un non-lieu inéluctable ». « C’est un opposant assumé, dont le but est de nuire avant la prochaine présidentielle », prévue en 2017 et à laquelle Paul Kagame briguera un troisième mandat.

Pour les avocats de parties civiles interrogés par l’AFP, Faustin Kayumba doit être interrogé par les juges.

« Il a au moins autant de crédit que les autres », estime Me Emmanuel Bidanda, qui défend la famille d’un membre de l’équipage du Falcon 50 du président Habyarimana.

« Ce document est intéressant mais insuffisant. Il faut un interrogatoire contradictoire », soutient aussi Me Jean-Yves Dupeux, avocat de deux enfants de Juvénal Habyarimana.

« Nous espérons qu’il n’y aura aucun obstacle diplomatique », ajoute de son côté Me Philippe Meilhac, l’avocat de la veuve de l’ex-président, Agathe Habyarimana.

Contenu partenaire