Gérald Papy

Attentat de Londres : la deuxième mort du communautarisme

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

« Notre pays doit se rassembler. […] Nous ne devons pas vivre comme des communautés séparées et ségréguées, mais comme un véritable Royaume-Uni « . Au lendemain de l’attentat de Londres, la Première ministre britannique Theresa May a eu des accents churchilliens pour prendre la mesure du choc qu’a provoqué parmi ses concitoyens cette vague terroriste inédite.

Cette vague qui a touché en trois temps des passants et le Parlement, symbole de démocratie à Westminster, la jeunesse et un temple du divertissement à Manchester, des convives heureux de se rassembler à Borough Market. De la sorte, elle a aussi signé la mort du modèle britannique de gestion de la diversité, la cohabitation de communautés autonomes sans incitation particulière aux échanges et à la construction de la nation.

Ce communautarisme, on le pensait pourtant en cours d’éradication depuis 2005. Cette année-là, un autre attentat à Londres, qui avait fait 56 morts dans les transports publics, et la révélation qu’une telle horreur pouvait avoir été perpétrée par des Britanniques nés et ayant grandi dans le pays avaient déjà provoqué une introspection sur la grande liberté laissée aux prêcheurs de haine du Londonistan de combattre les valeurs de la démocratie britannique. Tony Blair, Premier ministre travailliste, décida de mettre en place Prevent, un dispositif de contre-radicalisation à destination des communautés musulmanes des grandes villes. Dans La Prévention du terrorisme en Grande-Bretagne (PUF), la chercheuse Claire Arènes a décelé l’ambiguïté de la démarche :  » renforcement d’une identité exclusive musulmane au lieu de faire primer une identité civique britannique, et réduction des rapports entre communautés musulmanes et institutions à des enjeux sécuritaires plutôt que construction d’une relation de confiance « . Devenue ministre de l’Intérieur dans un gouvernement de coalition entre conservateurs et libéraux à partir de 2010, Theresa May réorienta le programme Prevent pour cibler davantage  » l’idéologie extrémiste « , combat négligé, selon elle, par les travaillistes. Réforme apparemment vaine… C’est donc l’échec de sa propre politique que la Première ministre post-Brexit a somme toute consacré après l’attaque à la camionnette et aux couteaux du London Bridge.

u0022Les modèles antagonistes de gestion du multiculturalisme, britannique et français, n’ont pas apporté les remèdes de contre-radicalisationu0022

Ce rappel historique doit avant tout nous inviter à faire preuve d’humilité en matière de lutte contre le terrorisme. Daech a poussé la pratique mortifère à un niveau de sophistication jamais égalé. L’organisation est parvenue à frapper à trois niveaux : par des commandos téléguidés depuis le  » califat  » irako-syrien, par des sous-traitants officiels à l’affût d’un  » coup d’éclat  » sur leur terre d’exil européenne, et même par des collaborateurs indépendants cooptés par l’Etat islamique dans une sorte d' » uber- terrorisme « . Face à ce défi, tous les grands pays européens (Espagne, Royaume-Uni, France et Allemagne) ont échoué à protéger leur population. Et les modèles antagonistes de gestion du multiculturalisme, à la britannique (communautarisme) comme à la française (intégration républicaine), n’ont pas su apporter les remèdes de contre-radicalisation.

Près de vingt ans après les attentats du 11- Septembre, quand bien même arriverait-on à extirper Daech du bourbier irako-syrien dans lequel les Américains nous ont plongés avec la guerre de 2003, la réponse efficace à la menace djihadiste n’a pas encore été trouvée. Le double enjeu pour des démocraties confrontées à la fois à une menace sécuritaire et à une question existentielle de société (jusqu’où autoriser la liberté d’expression ? ) explique cette difficulté. A cette aune, une mutualisation des efforts de contre-radicalisation à un niveau européen, malgré le Brexit, sur le modèle de la coopération amorcée entre services de renseignement, apparaît comme un chantier prioritaire.

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