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Attaque en Libye: un pays en proie « à une multitude de groupes armés »

L’attaque qui a causé la mort de quatre Américains dont l’ambassadeur Christopher Stevens n’est pas une surprise pour Patrick Haimzadeh, spécialiste de la Libye. L’insécurité dans le pays est chronique depuis la chute de Kadhafi. Explications.

L’attaque de Benghazi qui a causé la mort de quatre Américains, dont l’ambassadeur Christopher Stevens, et trois fonctionnaires libyens de la mission diplomatique, n’est pas une surprise pour Patrick Haimzadeh, spécialiste de la Libye. Auteur de l’ouvrage Au coeur de la Libye de Kadhafi, cet ancien diplomate français à Tripoli (200-2004) explique que l’insécurité dans le pays est omniprésente depuis l’intervention de l’Otan en 2011.

L’attaque contre le consulat qui a causé la mort de l’ambassadeur américain Christopher Stevens est-elle une surprise pour vous?

Non. Je suis même plutôt étonné qu’il n’y ait pas eu plus de morts plus tôt. Un groupe islamiste libyen avait déjà revendiqué une attaque à la bombe contre la mission diplomatique américaine de Benghazi en juin dernier. D’autres attaques avaient visé la voiture d’un diplomate égyptien en août, contre le consulat tunisien et un convoi diplomatique britannique en juin, ou des locaux du CICR à Misrata à deux reprises. Celui-ci a d’ailleurs cessé ses activités dans cette ville. Le film anti-islam n’a sans doute servi que de couverture à cette action.

Que sait-on des différents groupes susceptibles d’avoir commis cette attaque?

Il y a en Libye une multitude de groupes armés. Parmi les groupes en présence, il y a une petite proportion de groupes salafistes djihadistes, tandis que d’autres, comme Abdelhakim Belhaj, l’ancien commandant militaire de Tripoli, jouent le jeu des élections. L’une des principales milices de Benghazi, la « Katiba Ansar al-Charia » (Brigade des partisans de la charia), a nié ce jeudi sa responsabilité dans l’attaque du consulat américain de Benghazi. Certains des membres de ces groupes ont eu par le passé des liens avec al Qaïda en Irak et en Afghanistan qu’ils ne revendiquent pas aujourd’hui, mais il est difficile de savoir ce qu’il en est exactement, d’autant qu’Al Qaïda représente souvent plus une « franchise » qu’une structure organisationnelle. Tous ces groupes sont de toute façon surarmés et n’ont nul besoin d’aide d’Al Qaïda pour leur logistique.
Le climat sécuritaire en Libye est très dégradé depuis l’intervention militaire de l’Otan à l’automne dernier. Il y a régulièrement des affrontements entre tribus en particulier celles qui étaient pro et anti-Kadhafi pendant la guerre civile de 2011. Les violences se produisent aussi bien à Misrata, à Tripoli qu’en Cyrénaïque ou dans le sud du pays.
Quant aux actions armées des anciens partisans de Kadhafi que les autorités de Tripoli accusent régulièrement de tous les maux, cela tient autant de l’incantation pour justifier leur faible contrôle du pays que de la réalité.

Un an après la chute de Kadhafi, la Libye est loin d’être stabilisée?
Le pays n’a pas encore d’appareil d’Etat. Le peu d’appareil qui existait à l’époque de Kadhafi a été détruit et il faudra à mon avis de nombreuses années pour en reconstruire un. La Libye d’aujourd’hui, c’est une série de strates. Les technocrates et les politiques en constituent une, assez peu en prise avec la réalité. Le pouvoir réel se situe au niveau de chaque localité, tribu ou quartier de la capitale et non pas au niveau national.

Une partie des milices, les anciens « thuwars » (révolutionnaires « ) s’est reconvertie dans les structures sécuritaires et tente de former un embryon d’armée. Alors que la corruption a repris ses droits, toutes ces milices cherchent à maintenir les avantages qu’elles ont obtenus par les armes. Le risque est grand de voir cet émiettement du pouvoir favoriser l’installation d’une économie mafieuse.

Comment cela est-il ressenti par la population?

Tous ces mouvements ne sont pas soutenus par la population qui souffre de la très forte insécurité et se sent spoliée. La victoire de la démocratie, mise en avant par Paris et Londres, les deux principaux parrains des nouvelles autorités est encore largement abstraite pour les Libyens. La Libye est actuellement beaucoup trop fractionnée pour qu’un dirigeant puisse se valoir d’un ascendant au niveau national.

Propos recueillis par Catherine Gouëset, L’Express

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