© AFP

Assassinat de Chokri Belaïd : « Le gouvernement tunisien est responsable de n’avoir rien fait »

Après l’assassinat de l’un des leaders de l’opposition tunisienne, l’avocate et militante des droits de l’homme Radhia Nasraoui dénonce le climat de violence qui s’est instauré en Tunisie en toute impunité depuis plusieurs mois.

L’assassinat de Chokri Belaïd, chef du parti des Patriotes démocrates, une formation de la gauche laïque, est le premier assassinat politique dans la Tunisie post-révolutionnaire. Comment en est-on arrivé là?

Nous sommes plongés, depuis des mois, dans un climat de violence. Des violences qui sont perpétrées en toute impunité, parce que les autorités policières laissent faire. Cette violence se greffe sur un climat général de mécontentement, sur fond de crise sociale et politique. Tout le monde est à bout de nerfs, il n’y a aucun respect des différences, pas de véritable débat, pas d’acceptation de ce que l’autre puisse penser différemment. C’est dans ce contexte qu’il faut situer cet assassinat, malheureusement guère surprenant.

Le frère de Chokri Belaïd accuse Ennahda, le parti islamiste au pouvoir. Le gouvernement est-il responsable selon vous?

Le gouvernement est en tous cas responsable de n’avoir rien fait. Chokri Belaïd se savait menacé et le disait publiquement. Il avait encore fait état de ces menaces lors d’une émission télévisée le 5 février au soir, c’est-à-dire la veille. Le dimanche 3 février, alors qu’il présidait une réunion, des contradicteurs étaient venus l’attaquer. Les autorités auraient dû réagir.

Certains pointent la Ligue de protection de la révolution. Ces gros bras du régime avait attaqué en décembre le siège de l’Union générale des travailleurs tunisiens qui avait, sans l’obtenir, demandé sa dissolution…

Il est trop tôt pour se prononcer. Tout ce que nous savons c’est que Chorki Belaïd a été attaqué par deux jeunes en moto. L’un d’eux est descendu de la moto et lui a tiré dessus. Mais il est vrai que la plupart des gens soupçonnent les islamistes, qu’il s’agisse des salafistes ou d’Ennahda. Et la Ligue de protection de la révolution a multiplié les attaques ces derniers temps sans jamais être inquiétée. Elle est responsable du lynchage, en septembre dernier à Tataouine, d’un autre militant d’opposition, appartenant à Nida Tounès. Nous avons demandé sa dissolution, en vain.

L’assassinat de Chokri Belaïd est-il un tournant?

C’est un tournant extrêmement grave. Il y a des manifestations partout en Tunisie et une inquiétude très profonde. Certains craignent même une évolution comparable à celle de la Somalie. L’inquiétude est d’autant plus forte que cette violence n’est pas dans nos traditions. Un assassinat politique comme celui-là, en Tunisie, cela n’est pas normal. C’est du jamais vu.

Vous croyez toujours à l’avènement possible de la démocratie en Tunisie?

Je sais que cela prendra du temps. Je veux, malgré tout, rester optimiste et croire que nous ne sombrerons pas dans la guerre civile. Même si c’est très dur.

Propos recueillis par Dominique Lagarde

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire