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Ashin Wirathu, celui qu’on appelle le « Hitler birman »

Le Vif

Connu pour ses prêches islamophobes, le moine bouddhiste Ashin Wirathu menace le gouvernement d’Aung San Suu Kyi. Récemment réduit au silence, il n’en est que plus dangereux.

Drapé dans sa robe grenat, Wirathu s’installe sur son trône de fleurs et salue ses fidèles, agenouillés sur des tapis. Ils sont nombreux, sur cette place de Mandalay, venus écouter ce moine au visage dur, dont les sermons islamophobes enflamment la Birmanie. Depuis quatre ans, celui que l’on surnomme le  » Hitler birman  » accuse les musulmans de former une sorte de 5e colonne, qu’il convient d’éradiquer. En 2015, à Meiktila, Le Vif/L’Express l’avait rencontré lors d’un prêche (1).  » Vaut-il mieux épouser un clochard ou un musulman ?  » demande-t-il alors aux centaines de Birmans rassemblés. Dans ce bourg du centre du pays, une cinquantaine de musulmans avaient été massacrés deux ans plus tôt.  » Un clochard !  » répond l’auditoire survolté.  » Et vaut-il mieux se marier avec un chien ou avec un musulman ?  » Wirathu savoure son effet :  » Un chien, car, contrairement au musulman, un chien ne vous demandera jamais de changer de religion…  »

Ces derniers temps, le sulfureux bouddhiste n’insulte plus ouvertement les kalar – terme péjoratif désignant les musulmans. Et pour cause : depuis le 11 mars, Wirathu est interdit de sermon par le Ma Ha Na, la plus haute autorité du clergé bouddhiste birman.

Condamné au silence, Wirathu n’en poursuit pas moins son  » combat « . Durant ses meetings, ce propagandiste de génie se colle désormais un sparadrap sur les lèvres et diffuse des enregistrements de ses discours.  » Wirathu a engagé une épreuve de force avec le gouvernement et, en premier lieu, avec l’ex-dissidente Aung San Suu Kyi, aujourd’- hui conseillère spéciale de l’Etat, explique le réalisateur Barbet Schroeder, auteur d’un film consacré à ce moine radical, Le Vénérable W. Il a compris que la Lady n’avait pas les moyens de lui déclarer la guerre, alors il la défie.  »

Dans son monastère, orné de ses portraits.
Dans son monastère, orné de ses portraits.© T. Falise

Comment un moine, censé prôner la compassion et la tolérance, peut-il tomber dans la haine ? Le film de Barbet Schroeder montre la dérive de ce fils de charretier qui a décidé de se raser la tête à l’âge de 17 ans. En 1997, Wirathu tombe sur un mystérieux opuscule, non signé, intitulé La peur de la disparition de la race. Le jeune religieux y puise les idées qui lui permettront d’étayer sa  » théorie « . Dans des images d’archives, on le voit, en 2003, en train de galvaniser de jeunes disciples, à Kyaukse, sa ville natale :  » Je ferai en sorte que les kalar n’aient plus rien à manger et qu’ils n’aient plus d’endroits pour vivre, leur dit-il. Et je vais avoir besoin de vous !  » Cet appel à la violence trouve un écho. Le 19 octobre 2003, des émeutes éclatent dans cette petite ville proche de Mandalay. Bilan : 11 morts. Arrêté pour incitation à la haine, Wirathu est condamné par la junte à vingt-cinq ans de prison. Il sera toutefois amnistié en 2012, après le départ des militaires. Repenti ? Pas vraiment.  » Ses quatre-vingt-dix-neuf mois de détention l’ont endurci, commente Barbet Schroeder. Sa haine est encore plus profonde et glacée.  » Il organise le boycott des commerces musulmans et distribue à tour de bras des DVD de ses sermons.

Neutralisé par les sages bouddhistes, il veut désormais créer un parti politique

Personnage complexe, Wirathu est capable, le même jour, d’appeler à un pogrom et de porter assistance à une famille musulmane qui aurait su l’émouvoir.  » Le feu dans une main, l’eau dans l’autre « , dit un proverbe local. Très actif sur les réseaux sociaux, il inonde ses followers de messages sur le  » péril islamique « , les incite à manifester pour la pureté de la race et accuse des musulmans de viol ou de meurtre, sans avoir la moindre preuve.

Durant de longues années, Wirathu a bénéficié d’une impunité totale. Le Comité pour la protection de la race et de la religion (Ma Ba Tha), qu’il a créé il y a quatre ans, a joué un rôle crucial dans l’adoption d’une loi sur les mariages interreligieux, en 2015.  » Désormais, si un musulman cherche à convertir une femme bouddhiste ou s’il pratique la polygamie, il ira en prison « , se réjouit-il, dans le film de Barbet Schroeder, qui montre également les liens étroits entre le moine radical et la Tatmadaw, l’armée birmane. Aux jeunes recrues, on explique, à grand renfort de  » PDF « , les projets d’invasion du pays par des forces islamiques et les risques de dilution de la  » race birmane « …

Ashin Wirathu, celui qu'on appelle le

Qui arrêtera Wirathu ? Après l’avoir interdit de prêcher  » jusqu’en mars 2018 « , les sages bouddhistes ont, le 23 mai dernier, interdit son mouvement, Ma Ba Tha. Officiellement, Wirathu est désavoué par ses pairs. Il en faudra toutefois davantage pour le neutraliser. Depuis quelques semaines, il songe en effet à créer un parti politique. Une très mauvaise nouvelle pour le gouvernement, dirigé par la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi, actuellement en grande difficulté. Pour la première fois depuis cinq ans, l’économie est en recul. Les investissements étrangers ont plongé de 30 % l’an dernier, selon la Nikkei Asian Review, les conflits avec les minorités ethniques se multiplient un peu partout dans le pays, et la situation des Rohingya n’a jamais été si critique. Implantée dans l’Etat d’Arakan, dans l’ouest de la Birmanie, cette ethnie de confession musulmane et de langue indo-européenne est, selon de nombreux témoignages d’ONG, persécutée par la Tatmadaw. Viols, meurtres… Alors que la communauté évoque, de plus en plus ouvertement, un nettoyage ethnique, et même un génocide, le gouvernement se tait. Aung San Suu Kyi ne s’est jamais rendue sur place. Le Prix Nobel de la paix 1991 s’oppose même au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui veut envoyer une mission d’information dans cette région. Pis, elle nie les faits.  » Fake rape (faux viol) « , a-t-elle mis, récemment, sur la page d’accueil de son site Facebook, après l’agression d’une femme rohingya.  » C’est honteux !, s’indigne Barbet Schroeder. De nombreux viols ont été prouvés, notamment par le Wall Street Journal et l’agence Reuters. Tout juste consent-elle à parler de troubles…  » Interviewée, le 8 décembre 2016, par la chaîne NewsAsia, Aung San Suu Kyi déclare même :  » Nous avons réussi à garder la situation sous contrôle. J’apprécierais que la communauté internationale nous aide à maintenir la paix, plutôt que d’alimenter les ressentiments entre les communautés bouddhiste et musulmane.  »

Génie de la com, il excelle à exalter le sentiment nationaliste : dans l'inconscient collectif, être birman, c'est être bouddhiste. Un discours qui suscite la ferveur de ses disciples.
Génie de la com, il excelle à exalter le sentiment nationaliste : dans l’inconscient collectif, être birman, c’est être bouddhiste. Un discours qui suscite la ferveur de ses disciples.© Soe Zeya Tun/Reuters

La Lady pourra-t-elle rester encore longtemps sourde aux souffrances des Rohingya ? En décembre dernier, une douzaine de Prix Nobel ont écrit au Conseil de sécurité de l’ONU. En termes durs, ils déplorent qu’elle n’ait pris  » aucune initiative pour défendre les droits des Rohingya et leur assurer la citoyenneté « . En coulisses, certains suggèrent même qu’elle devrait rendre son Nobel…

Pourquoi un tel aveuglement ? Dans les cercles diplomatiques, on soupçonne Aung San Suu Kyi d’avoir conclu un  » pacte  » avec les généraux. Si elle renonce à toute ingérence dans le dossier des Rohingya, l’armée lui laisserait en échange toute latitude pour mener ses réformes. Peut-être craint-elle aussi de se mettre à dos la population, bouddhiste à 90 %. Dans le  » pays aux mille pagodes « , religion et nation sont intimement liées. Etre birman, c’est, avant tout, être bouddhiste. Et prendre la défense des musulmans est mal perçu. Lors des pogroms de Meiktila, Aung San Suu Kyi avait soulevé l’ire des nationalistes et, en premier lieu, celle de Wirathu, parce qu’elle avait déploré les meurtres de musulmans.  » C’est une traître à la nation « , avait-il, alors, déclaré au Vif/L’Express. Depuis, elle n’a plus jamais évoqué ce sujet. Et, lorsque l’un de ses plus proches conseillers, Ko Ni, s’est fait assassiner, dans l’aéroport de Rangoon, le 29 janvier dernier, Aung San Suu Kyi a attendu plus d’un mois avant de lui rendre un timide hommage. Ko Ni était musulman. Craignait-elle d’être discréditée ? Si c’est le cas, le  » Hitler birman  » a déjà gagné son combat contre la  » dame de Rangoon « .

(1) L’auteur de ces lignes a rencontré Wirathu à trois reprises : à Mandalay, en 2012, après sa sortie de prison ; en 2013, au cours d’un reportage réalisé pour Le Vif/L’Express avec Thierry Falise ; en 2015, avec Bertrand Bolzinger, à l’occasion du tournage d’un film sur la Birmanie pour la chaîne française M6.

Par Charles Haquet.

Des moines à part

En Birmanie, plus de 500 000 moines pratiquent le theravada, ancienne école bouddhiste prônant le « non- attachement ». Les bonzes ne travaillent pas et ne reçoivent pas d’argent. Tous les matins, ils partent mendier leur nourriture auprès des habitants. Violemment réprimés, en 2007, lors de la « révolution safran », ils sont très impliqués dans la vie de la cité. Malgré son succès auprès de la population birmane, Ashin Wirathu ne représente toutefois qu’un courant minoritaire. Dans son monastère de Masoeyein, à Mandalay, il est d’ailleurs décrié par de nombreux sages, qui n’apprécient guère ses théories raciales.

Le vénérable W.

Avec Le Vénérable W., le réalisateur suisse Barbet Schroeder clôt sa « trilogie du mal », commencée avecGénéral Idi Amin Dada(1974), puisL’Avocat de la terreur (2007), un film sur Jacques Vergès. L’ascension de Wirathu, moine islamophobe et nationaliste, est racontée étape par étape, à grand renfort d’images inédites. On y découvre notamment qu’Ashin Wirathu est un fan absolu de Donald Trump. Ce film soulève des questions dérangeantes : comment ce moine, qui n’a qu’une connaissance très superficielle de l’islam et diffuse tant de fake news sur son site Facebook, a-t-il pu acquérir une telle popularité ? Comment expliquer la facilité avec laquelle ses prêches de haine pervertissent les jeunes consciences ? La réponse pourrait venir de Bouddha lui-même : « Un pot d’eau finit par se remplir de gouttes de pluie. De même, l’innocent, absorbant goutte après goutte, finit par se remplir de mal. »

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