© Getty Images/iStockphoto

Armes, immigration… le dialogue de sourds entre les Américains et leurs élus

Le Vif

Si la majorité des Américains souhaitent durcir la législation sur les armes à feu, pourquoi le Congrès reste-t-il les bras croisés?

Le paradoxe scandalise les militants anti-armes, qui accusent leurs élus de laxisme et d’hypocrisie. Mais il n’est pas spécifique aux armes, et prend sa source dans des décennies – voire des siècles – de pratique politique américaine.

– Une représentativité imparfaite –

Avec le jeu du découpage des circonscriptions législatives, et un système bicaméral où le Sénat pèse autant que la Chambre des représentants, le Congrès est loin d’être une copie conforme de la population. Une majorité de suffrages ne correspond pas nécessairement à une majorité parlementaire – encore moins pour le président, élu au suffrage indirect.

« Les pères fondateurs ont créé un système qui empêche de brusques changements de politique au gré des caprices et passions du peuple », explique Gregory Wawro, professeur de science politique à l’université Columbia, à l’AFP. « Mais tout cela a un coût: il est difficile de changer de politique, même quand la demande est forte ».

– Qu’est-ce qu’une majorité ? –

Sur un même sujet, il existe de multiples « majorités ».

Prenez le cas de l’immigration. Les sondages montrent que les Américains sont pour « sécuriser les frontières » mais contre le mur à la frontière mexicaine; ils souhaitent régulariser les jeunes sans-papiers, mais réduire le nombre d’immigrés… Démocrates et républicains affirment chacun représenter la majorité, et peinent donc à sceller un compromis législatif qui concilierait toutes ces demandes, parfois contradictoires.

Sur les armes, 97% des Américains sont favorables à un contrôle obligatoire des antécédents avant un achat, selon un sondage Quinnipiac. Mais le pourcentage descend selon les propositions: 83% pour une période d’attente entre l’achat d’une arme et son obtention; 67% pour l’interdiction des armes d’assaut… Là encore, les élus butent sur le calibrage d’une réforme.

– Pas une priorité des électeurs –

Etre d’accord avec une proposition ne signifie pas que les électeurs en font leur critère exclusif de vote.

« Les élections sont des mécanismes très imparfaits pour demander des comptes aux élus », dit à l’AFP Jennifer Nicoll Victor, professeure de politique à l’Université George Mason. Les électeurs n’ont souvent que deux choix pour répondre simultanément à de multiples questions, sans compter l’influence de leur humeur le jour du vote, de l’actualité…

Ce qui explique sans doute, par exemple, que nombre d’Américains pro-Trump ne croient pas ses dénégations dans les scandales actuels d’adultère présumé. Mais ces affaires ne sont pas assez importantes, à leurs yeux, pour justifier une rupture.

– Un lobbying redoutable –

Dans le cas des armes, la National Rifle Association joue un rôle central dans la radicalisation du débat.

La NRA n’est pas qu’une organisation de lobbying, dit Jennifer Nicoll Victor. Elle a « créé une véritable culture des armes » et réussi à en faire un pilier du roman national, unissant fabricants, élus, chasseurs et autres amateurs d’armes.

Les parlementaires républicains font partie de cette culture et renâclent à la remettre en cause, même partiellement, poursuit l’experte, par peur de se couper du groupe.

A l’inverse, le camp anti-armes a tardé à se structurer en mouvement de masse. Les massacres de Columbine (1999) et Sandy Hook (2012) ont donné naissance à des organisations militantes, mais c’est seulement après la fusillade du lycée de Parkland, en février, que le mouvement populaire a pris de l’ampleur.

– Des partis plus polarisés –

En 1986, le président républicain Ronald Reagan signait une loi régularisant 2,7 millions de clandestins. En 1996, le président démocrate Bill Clinton promulguait une loi durcissant les conditions d’obtention d’allocations sociales.

Dans chaque cas, il fallut attendre qu’un président s’entende avec des élus du camp adverse: Reagan avec un Congrès partiellement démocrate, Clinton avec une majorité républicaine.

John Hudak, de l’Institution Brookings à Washington, rappelle aussi que nombre de parlementaires républicains ont soutenu l’interdiction des armes d’assaut en 1994 (expirée en 2004). « Aujourd’hui, il est inimaginable de voir un élu républicain, et a fortiori un président républicain, soutenir une telle interdiction », dit-il.

La raison est que les deux grands partis sont devenus extrêmement homogènes et polarisés.

Mais peut-être Donald Trump sera-t-il plus enclin à tendre la main aux démocrates, si ceux-ci redeviennent majoritaires au Congrès après les élections législatives de novembre prochain.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire