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Armes chimiques en Syrie: veto russe à un projet de résolution américain

Le Vif

La Russie a opposé son veto mardi au Conseil de sécurité à un projet de résolution américain prévoyant de créer un mécanisme d’enquête sur le recours aux armes chimiques en Syrie après les attaques de samedi à Douma.

Le projet de texte américain –approuvé par 12 voix, deux contre (Russie et Bolivie) et une abstention (Chine)–, proposait la création pour un an d’un nouveau « mécanisme d’enquête indépendant des Nations unies » (Unimi) sur le recours aux armes chimiques en Syrie. Il s’agit du 12e veto russe sur une résolution de l’ONU concernant la Syrie depuis le début de la guerre en 2011.

Il s’agit du 12e veto russe sur une résolution de l’ONU concernant la Syrie depuis le début de la guerre en 2011.

« Ce n’est pas vrai qu’on a pris en compte nos exigences » dans la négociation de ce texte, a expliqué l’ambassadeur russe à l’ONU, Vassily Nebenzia. « Nous usons de notre veto pour défendre le droit international (…) et ne pas entrainer le Conseil de sécurité dans des aventures », a-t-il ajouté.

« Notre résolution garantissait l’indépendance d’un mécanisme d’enquête », alors que le projet russe concurrent, soumis à un vote ultérieurement, revient à choisir les enquêteurs, avait fait valoir auparavant son homologue américaine, Nikki Haley.

« La France mettra tout en oeuvre contre l’impunité chimique », a déclaré de son côté l’ambassadeur français, François Delattre. « Le régime de Damas n’a jamais renoncé à l’usage d’armes chimiques contre sa population », a-t-il dénoncé. « La France n’acceptera aucun mécanisme au rabais ou de façade dont l’indépendance ne serait pas garantie », a précisé le diplomate français.

L’ONU n’a plus d’organisme d’enquête dédié aux attaques chimiques en Syrie depuis la disparition fin 2017 du JIM, un groupe ONU-OIAC (Organisation pour l’interdiction des armes chimiques) dont le mandat n’a pas été renouvelé en raison de plusieurs veto russes.

Outre la création du mécanisme Unimi, le texte américain condamnait les attaques à l’arme chimique présumée commises samedi à Douma dans la Ghouta orientale, près de Damas, qui ont fait des dizaines de victimes.

La Russie, comme la Syrie, dément tout recours aux armes chimiques ce jour-là.

Selon les Casques blancs, des sauveteurs syriens en zone rebelle, et une ONG américaine, les attaques de samedi ont fait au moins 40 morts dans cette dernière poche des rebelles aux abords de la capitale syrienne.

L’OIAC va envoyer une équipe pour enquêter

Par ailleurs, l’Organisation internationale sur les armes chimiques (OIAC) a annoncé mardi l’envoi « sous peu » en Syrie d’une équipe pour enquêter sur une attaque chimique présumée imputée au régime de Bachar al-Assad qui se trouve en « état d’alerte » après les menaces d’une riposte militaire occidentale.

Les mises en garde de Donald Trump affirmant que les responsables de l’attaque présumée devraient « payer le prix fort » ont ravivé le spectre de frappes américaines en Syrie, qui pourraient donner lieu à une confrontation avec Moscou, l’allié indéfectible de Bachar al-Assad.

La Russie, dont les troupes sont sur le sol syrien, a d’ores et déjà prévenu qu’une intervention militaire américaine serait « très, très dangereuse ».

L’ambassadeur syrien à l’ONU, Bachar al-Jaafari, avait accusé lundi les Etats-Unis, la France et d’autres pays occidentaux de professer de fausses accusations contre Damas pour « ouvrir la voie à une attaque en Syrie ».

Mardi, Damas a invité l’OIAC pour enquêter à Douma, dernier bastion rebelle dans la Ghouta orientale aux portes de Damas, où l’attaque chimique présumée aurait fait des dizaines de morts samedi.

« L’équipe se prépare à se déployer en Syrie sous peu », a répondu l’OIAC, un organisme dont le mandat est d’enquêter sur une attaque présumée mais qui n’a pas la responsabilité d’en identifier les responsables.

Selon des diplomates, l’envoi d’experts de l’OIAC en Syrie pourrait permettre à Damas de retarder d’éventuelles frappes.

« Etat d’alerte »

Ces derniers jours ont été marqués par une frénésie diplomatique et mardi, Donald Trump a échangé avec la Première ministre britannique Theresa May.

Les deux dirigeants « sont tombés d’accord pour ne pas laisser l’usage d’armes chimiques se poursuivre », a indiqué la Maison Blanche. Le président américain avait déjà promis de répondre « avec force », prévoyant des décisions majeures « très bientôt ».

La Maison Blanche a estimé que Damas ne pouvait mener à bien une telle attaque sans l’aide de ses alliés russe et iranien. Ces derniers accusent Washington de chercher un « prétexte » pour frapper le régime syrien.

En avril 2017, Donald Trump avait déjà fait bombarder une base militaire syrienne, en riposte à une attaque au gaz sarin imputée au régime, qui avait tué plus de 80 civils à Khan Cheikhoun (nord-ouest).

Lundi, le destroyer lance-missile USS Donald Cook a quitté le port chypriote de Larnaca, où il faisait escale, et se trouve dans une zone d’où il peut facilement frapper la Syrie.

Face au risque d’attaques, l’armée syrienne a placé ses forces « en état d’alerte » pour les trois jours à venir dans les aéroports et les bases militaires du pays, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

Cette mesure est généralement adoptée « en réaction à des menaces extérieures », a précisé le directeur de l’Observatoire, Rami Abdel Rahmane.

« Personne n’a peur »

Dans les rues de la capitale, des Syriens semblaient rester de marbre face aux menaces de frappes.

« Personne n’a peur d’une frappe », lance sur un ton de défi Amal, ingénieure de 27 ans. « On sait que tout ce qu’ils font, c’est pour miner (…) l’engagement de l’armée qui libère les régions » tenues par la rébellion.

Selon les Casques Blancs, les secouristes en zones rebelles, et l’ONG médicale Syrian American Medical Society, plus de 40 personnes ont été tuées samedi à Douma, tandis que plus de 500 blessés ont été soignés, souffrant notamment de « difficultés respiratoires ».

Une vidéo postée par les Casques blancs sur Twitter et présentée comme tournée après l’attaque chimique présumée montre un enchevêtrement de corps sans vie, dont ceux de femmes et d’enfants, allongés à même le sol, les yeux parfois écarquillés et de la mousse blanche s’échappant de leur bouche. L’AFP n’a pas pu authentifier ces images.

Les forces du régime empêchant tout accès à Douma, les journalistes ne peuvent pas vérifier de manière indépendante ces accusations. Joindre par ailleurs des gens sur place est rendu difficile par les mauvaises communications. L’AFP n’a plus de correspondants à Douma, toujours sous le contrôle des rebelles.

Le dernier groupe insurgé Jaich al-Islam est en train de quitter la ville après plusieurs semaines de bombardements intensifs du régime, qui ont fait plus de 1.700 morts dans les secteurs rebelles de la Ghouta orientale.

Des dizaines de milliers de personnes, combattants de deux autres groupes insurgés et leurs familles, ont déjà été évacués.

Les évacuations ont débuté à Douma. Mohamed, un médecin qui a traité les patients de l’attaque chimique présumée, se prépare lui aussi à partir.

« C’est bien que l’OIAC vienne », confie-t-il à l’AFP. « Mais je ne les attendrai pas. Si je témoigne, mes proches seront peut-être victimes de la vengeance » du régime.

Le conflit qui déchire la Syrie depuis 2011 a fait plus de 350.000 morts et s’est complexifié au fil des années avec l’implication de puissances étrangères sur un territoire morcelé.

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