© Reuters

Armes chimiques en Syrie: pourquoi les Occidentaux tergiversent

Le Vif

Les États-Unis ont déclaré pour la première fois, jeudi, que le régime syrien avait probablement utilisé des armes chimiques, avant de minimiser cette déclaration. Que sait-on sur ces armes? Pourquoi de telles hésitations? Éléments de réponse. Que sait-on de l’arsenal chimique en Syrie?

Le régime syrien a reconnu pour la première fois le 23 juillet 2012 posséder des armes chimiques et a menacé de les utiliser en cas d’intervention militaire occidentale. Le programme syrien a été lancé dans les années 1970 avec l’aide de l’Egypte puis de l’ex-URSS. La Syrie est l’un des rares pays à ne pas avoir signé la Convention sur l’interdiction des armes chimiques et n’est donc pas membre de l’Organisation chargée de contrôler son application, l’OIAC.

Les Syriens « ont réussi à maîtriser la synthèse des organophosphorés, la dernière génération la plus efficace et la plus toxique des armements chimiques », expliquait Olivier Lepick, spécialiste français de l’armement chimique à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), à l’AFP en juillet dernier. Le Sarin et le VX, ainsi que du gaz moutarde, font partie de cette catégorie d’armes.

Que sait-on des armes utilisées?

L’armée syrienne a été accusée d’avoir utilisé des armes chimiques dans le quartier d’Al-Bayyada, à Homs, le 23 décembre 2012. Ce jour-là, une substance, dont la nature n’a pas été établie, aurait provoqué plusieurs morts et des dizaines de cas d’empoisonnement. Mais « la question est de savoir si les forces syriennes ont délibérément visé les opposants ou si des frappes ont touché un entrepôt contenant des produits chimiques », se demandait alors le chercheur Joseph Henrotin, interrogé par Le Point.

Des armes chimiques auraient également été utilisées à la mi-mars dans le village de Khan Assal, aux environs d’Alep, et à Atayba, à l’est de Damas. A l’époque, le régime avait accusé les rebelles d’en être les responsables. L’ONU avait alors nommé un scientifique suédois, Ake Sellström, pour mener une équipe d’experts chargée d’enquêter. Mais une semaine plus tard, Damas avait annoncé s’opposer à la venue de cette mission en Syrie.
Le 11 avril, des diplomates onusiens avaient affirmé, sous couvert de l’anonymat, avoir des preuves de l’emploi d’armes chimiques en Syrie. Des examens du sol, des entretiens avec des témoins et des rebelles montraient, selon eux; que des agents neurotoxiques avaient été utilisés dans et autour d’Alep, de Homs et peut-être à Damas.

Cette semaine, un responsable du renseignement militaire israélien reprenait la même accusation, évoquant l’usage probable de gaz sarin. Il disait s’appuyer sur des photos de victimes dont les pupilles sont contractées et dont de la mousse s’échappe de la bouche. Autant de signes qui « attestent de l’utilisation d’armes chimiques mortelles », selon le général.

Pour Olivier Lepick, « il est à ce stade impossible de conclure ». Il s’étonne « que des preuves concrètes, précises, n’aient pas été communiquées aux experts. Si du gaz sarin a été utilisé, c’est facile à vérifier », cela peut difficilement laisser place au doute.

Comment comprendre la position des pays occidentaux?

Les États-Unis ont fait une annonce particulièrement alambiquée jeudi. Le secrétaire à la défense Chuck Hagel a d’abord déclaré que les services de renseignements ont « conclu, avec différents degrés de certitude, que le régime syrien a utilisé des armes chimiques à petite échelle ». Puis il a ajouté que ces renseignements n’étaient pas encore « suffisants » et que, « par exemple, la chaîne de transmission (des échantillons) n’est pas claire, donc nous ne pouvons pas confirmer comment l’exposition (au sarin) a eu lieu ».

Pour Thomas Pierret, spécialiste de la Syrie, « on est dans la situation inverse à celle de l’Irak il y a deux ans. A l’époque, il n’y avait pas de preuve avérée de l’usage d’armes de destruction massive par Bagdad, mais Washington cherchait n’importe quel prétexte pour intervenir », et l’a fait, en dépit de l’absence tangible de certitude.

« Avec la Syrie au contraire, les preuves d’usages localisés de ces armes s’accumulent, mais l’administration Obama use de toutes les précautions oratoires possibles pour minimiser cette réalité », ajoute le chercheur. Les autorités américaines, qui ont retiré leurs troupes d’Irak et organisent le départ d’Afghanistan après plus d’une décennie de guerres désastreuses, font tout pour éviter de s’engager dans un nouveau conflit au Moyen-Orient.

Pourtant, « il devient impossible pour les autorités américaines de nier l’usage d’armes chimiques. Il reste, à ce stade, très ponctuel et localisé, et n’a pas d’effet militaire réel », admet Thomas Pierret. Pour le chercheur, le régime teste la communauté internationale. « Bachar el-Assad est parfaitement conscient du fait que les pays occidentaux ne souhaitent intervenir dans la crise syrienne », observe-t-il.

« La guerre a fait 80 000 morts en Syrie mais ce n’est pas un problème »

Le régime baasiste a depuis le début de la crise, augmenté progressivement le niveau de la force létale contre les quartiers et zones aux mains de la rébellion en utilisant tour à tour les chars, les hélicoptères, les avions de chasse, les missiles scud.
« L’armée syrienne continue sur cette lancée, elle souhaiterait pouvoir utiliser les armes chimiques plus largement contre les quartiers rebelles dont elle ne parvient pas à desserrer l’étau, malgré sa puissance de feu. C’est le cas dans la Ghouta -la banlieue de Damas-, dans la région d’Alep et à Qousseir, près de Homs ». « L’armée parvient à reprendre ponctuellement tel ou tel village si elle décide d’y concentrer ses forces, mais elle est incapable de le garder durablement sans dégarnir d’autres fronts », complète le chercheur.

Olivier Lepick est sceptique sur l’utilité que peut représenter l’usage d’un tel arsenal pour le régime, mais ils se dit choqué par le message troublant qu’adresse les tergiversations des Occidentaux: « la guerre a fait 80 000 morts en Syrie mais ce n’est pas un problème; en revanche, le fait d’avoir utilisé des armes chimiques à tel ou tel endroit serait un scandale ». Cette valse-hésitation ne fait que servir les intérêts de damas « qui peut continuer à bombarder les populations civiles avec toutes les armes conventionnelles dont il dispose sans que cela n’émeuve personne! ».

Par Catherine Gouëset

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire