© Reuters

Arabie saoudite: les droits des femmes font du surplace

Les Saoudiennes reprennent le volant ce vendredi 29 juin et bravent un interdit du Royaume. Amélie Le Renard, auteure de « Femmes et espaces publics en Arabie saoudite » revient sur le statut des femmes dans ce pays.

Manal Al Sharif a attiré, l’année dernière, l’attention de tous les médias internationaux: cette Saoudienne avait posté sur You Tube des vidéos où elle conduisait une voiture, bravant sciemment un interdit du Royaume. Le mouvement Women2drive, né il y a un an, avait mobilisé une dizaine de femmes. Ce vendredi 29 juin, une nouvelle mobilisation est prévue.

Hasard ou non, l’Arabie saoudite a décidé, cette semaine, d’autoriser, pour la première fois, les femmes à participer aux Jeux Olympiques de cet été à Londres. L’ONG Human Rights Watch souligne, cependant, l’hypocrisie d’une telle décision: dans ce pays qui détient l’un des pires bilans en matière de droits des femmes, les filles n’ont pas de cours d’éducation physique à l’école, et les infrastructures gouvernementales tout comme les entraîneurs sont réservés aux sportifs de sexe masculin. Seule une femme, la cavalière Dalma Rushdi, devrait ainsi se qualifier pour la compétition.

Amélie Le Renard, sociologue chargée de recherche au CNRS et auteure de « Femmes et espaces publics en Arabie saoudite » ( Editions Dalloz, mars 2011) fait le point sur le statut et les revendications des femmes en Arabie saoudite.

1) Le mouvement Women2drive lance de nouveau une campagne contre l’interdiction faite aux femmes de conduire. Comment les autorités justifient-elles cette mesure?

Il y a eu un précédent à ce mouvement. En 1990, à Riyad, une initiative, appelée aujourd’hui  » la conduite des voitures « , a rassemblé 47 femmes, essentiellement des universitaires et des intellectuelles qui voulaient mettre fin au fait que les femmes ne conduisent pas dans les villes. Elles ont été arrêtées. A l’époque, cet interdit était tacite et non codifié. Le mufti d’Arabie saoudite a alors émis une fatwa ( un avis juridique) pour interdire aux femmes de prendre le volant. L’idée principale était que la conduite des femmes pourrait avoir des  » conséquences blâmables « . Le débat a été relancé plusieurs fois depuis 1990. Plusieurs types d’arguments ont circulé. J’ai souvent entendu, par exemple, que cette interdiction n’avait pas de fondement religieux, mais qu’étant donné l’insécurité à Riyad, il fallait mieux que les femmes ne conduisent pas.

2) Quel résonnance peut avoir ce type de manifestation dans la société saoudienne?

Cela dépend des lieux et des groupes sociaux. A Riyad, peu de personnes m’en ont parlé.

3) Conduire est-il la priorité pour les Saoudiennes ? Quelles sont leurs autres revendications?

Difficile à dire: c’est un pays où il y a peu de moyens d’expression. On peut juste faire de la spéculation sur les attentes des Saoudiennes. J’ai pu constater que parmi les jeunes Saoudiennes urbaines et diplômées, la revendication essentielle porte sur l’accès à l’emploi. Le taux de chômage est très élevé parmi les femmes. C’est pour cela que certaines mesures prises récemment par le roi Abdallah, comme l’allocation de retour à l’emploi créée en mars 2011, ont suscité un intérêt certain.

4) Quelle est la place des femmes dans le monde du travail ?

Il y a une relative obligation de non-mixité dans le monde professionnel, même si depuis 2006 le code du Travail a été assoupli. En théorie, avant 2006, tout lieu de travail devait être non-mixte. Cela excluait de fait les femmes de beaucoup de domaines tout en rendant leur emploi obligatoire à tous les niveaux hiérarchiques dans les institutions qui leur étaient réservées, notamment dans le secteur éducatif. Elles sont formellement exclues de certaines professions, comme celle de juge. Elles peuvent être avocates mais n’ont pas accès aux tribunaux. Des Saoudiennes ont atteint des postes à responsabilité dans certains domaines, notamment le secteur éducatif et, plus récemment, la banque.

Enfin, il est important de signaler, à ce propos, que des milliers de femmes non-saoudiennes, notamment philippines, indiennes et sri lankaises (un tiers de la population des grandes villes n’a pas la nationalité) travaillent comme employées de maison : pour le coup, elles n’ont pas de problèmes de chômage, mais leur activité n’est pas régie par le droit du Travail. Il y a donc des situations très différentes parmi les femmes.

5) Le roi Abdallah a accordé aux femmes le droit de participer aux prochaines élections municipales : est-ce une avancée ou une annonce symbolique ?

Ces élections municipales ont une portée très limitée. Elles permettent d’élire seulement la moitié des conseillers municipaux, les autres sont nommés. De plus, les membres des conseils municipaux n’ont qu’un rôle consultatif. Donc il n’y a pas de grandes conséquences en termes d’ouverture politique. De ce point de vue, les femmes acquièrent les mêmes non-droits que les hommes. En Arabie saoudite, les partis politiques sont interdits, les associations sont très contrôlées, et les manifestations proscrites.

6) Le roi Abdallah a-t-il un rôle à jouer pour faire progresser les droits des femmes?

Le roi Abdallah est souvent décrit comme un défenseur de la cause des femmes, en Arabie Saoudite comme à l’étranger. Il faut dire que, ces dernières années, la stratégie du gouvernement a été d’envoyer des délégations de femmes en visite diplomatique, afin d’améliorer l’image du pays. A l’intérieur, le gouvernement a lancé quelques mesures qui facilitent l’emploi des femmes et a investi dans les infrastructures universitaires réservées aux femmes. En même temps, des initiatives comme Women2Drive sont réprimées, comme n’importe quelle action collective lancée de manière autonome par des Saoudiennes ou des Saoudiens dans le royaume.

7) Les conditions des femmes en Arabie saoudite se sont-elles alors améliorées ces dernières années ?

On observe des changements notables de modes de vie, ce ne sont plus les mêmes qu’il y a 30 ou 40 ans où la plupart des femmes étaient illettrées. Aujourd’hui la majorité des Saoudiennes vivent en ville et, parmi la jeune génération, beaucoup mènent des études universitaires, et certaines une carrière professionnelle.

8) Le printemps arabe a-t-il conduit les femmes à plus de revendications?

Tout le monde est sur Twitter à Riyad et a, bien sûr, suivi les événements dans les pays voisins. Mais l’interdiction de manifester a été réaffirmée en mars 2011 et toutes les tentatives sont réprimées. Il faut cependant signaler les manifestations des étudiantes de l’université d’Abha (dans le Sud de l’Arabie), celles des mères de prisonniers détenus sans jugement (dans différentes villes) et la participation des femmes aux mouvements de la province Orientale. Certaines Saoudiennes sont donc mobilisées mais leurs revendications ne concernent pas nécessairement des droits spécifiques aux femmes.

9) Parmi les jeunes, qui ont notamment étudié à l’étranger, peut-on parler de l’émergence d’un mouvement féministe ?

C’est problématique de les qualifier de féministes car elles-mêmes n’emploient pas ce terme. Le terme de féministe est soit méconnu, soit rejeté. Le  » féminisme « , tout comme le  » genre  » – sans que ces mots soient nécessairement définis – sont souvent dénoncés comme le cheval de Troie de l’impérialisme américain. Certaines militantes pour les droits des femmes peuvent se revendiquer féministes en privé mais n’emploieraient jamais ce mot en public parce que ce serait contre-productif. D’autres le rejettent totalement parce qu’elles l’associent à la politique de Bush et notamment à l’attaque sur l’Afghanistan, justifiée par la nécessité de  » libérer les femmes afghanes « . Ce type de discours ne facilite pas la tâche des personnes qui se battent pour la cause des femmes dans la région.

Par Marina Rafenberg

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire