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Après le plombier polonais, le spectre de l’immigration bulgare et roumaine agite l’UE

Le Vif

Une semaine après la levée des restrictions sur le marché du travail des Bulgares et des Roumains, la question des migrations continue de semer le trouble en Allemagne et au Royaume-Uni. L’arrivée en masse de nouveaux travailleurs est pourtant peu probable. Explications.

Des Roumains s’apprêtent à embarquer pour Londres le 1er janvier, alors que sont levées les restrictions sur le marché du travail des ressortissants de ce pays et de la Bulgarie vers l’Union européenne.

Panique en Grande-Bretagne…

Au Royaume-Uni, un sondage du Centre national de recherche social rendu public mardi révèle que 77% des personnes interrogées souhaitent une réduction du niveau de l’immigration dans leur pays.

Le débat a été lancé dès le mois de novembre par le Premier ministre David Cameron qui a annoncé le durcissement des règles d’attribution des allocations sociales aux immigrants européens. Puis, en décembre, des membres du Parti conservateur dont il est issu ont suggéré de plafonner à 75 000 le nombre d’immigrés intra-européens.

David Cameron lui-même a promis de réduire l’immigration nette (le nombre de personnes entrant moins le nombre de personnes quittant le pays) de 250 000 par an à moins de 100 000 d’ici aux prochaines élections législatives, en 2015.

Des études, comme celle du National Institute of Economic and Social Research ont pourtant montré par le passé que les immigrés rapportaient plus qu’ils ne coûtaient aux finances du pays. Mais rien n’y fait. La surenchère du parti populiste et eurosceptique Ukip en matière d’immigration pèse sur le débat. Les libéraux-démocrates font figure d’exception. Le ministre du commerce Lib-dem Vincent Cable dénonce les paniques récurrentes à propos de l’immigration, rappelant le discours anti-immigrés d’Enoch Powell en 1968 sur les « rivières de sang » qui menaçaient la Grande-Bretagne -il avait été évincé du Parti conservateur. Aujourd’hui, même le parti travailliste n’ose plus affronter le credo de l’Ukip. Ainsi, l’ancien ministre de l’Intérieur David Blunkett explique à la BBC que « le problème est qu’on a assumé, par le passé, que l’immigration était toujours bénéfique pour l’économie. »

… et polémique en Allemagne

En Allemagne, à deux mois d’élections locales en Bavière, le parti conservateur de ce land, la CSU, a lancé une campagne contre les immigrés « profiteurs », que la chancelière Angela Merkel et le vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel s’efforcent depuis de désamorcer. Le premier conseil des ministres de l’année devrait se pencher sur le sujet ce mercredi.

Les arrivées de Bulgares et de Roumains, même si elles restent limitées en proportion de l’immigration totale à destination de l’Allemagne, défraient régulièrement la chronique parce qu’elles sont concentrées dans certaines grandes villes, comme Berlin ou Duisbourg, et parce que nombre d’Allemands y voient une fraude aux prestations sociales.

Pourquoi l’afflux ne devrait pas être massif

Les craintes d’un afflux massif de travailleurs roumains et bulgares ne devraient pourtant pas se concrétiser, selon nombre d’experts.
D’abord, parce que le flux de migrants potentiels en provenance de ces pays a déjà eu lieu. Plus de 3,5 millions de Roumains (sur une population de 21,3 millions d’habitants) travaillaient à l’étranger en 2011, selon le dernier rapport de l’OCDE sur les migrations. « Les populations susceptibles de migrer sont déjà parties. Les personnes à même de partir chercher du travail à l’étranger sont essentiellement celles qui ont entre 25 et 45 ans », observe Catherine de Wenden, directrice de recherche au CNRS, spécialiste des migrations. Et c’est l’Italie voisine et l’Espagne, et non les pays du Nord de l’Europe qui en ont accueilli le plus grand nombre: 2 millions de Roumains et 300.000 Bulgares (la Bulgarie compte 7,3 millions d’habitants).

« La plupart d’entre eux travaillent dans des secteurs de niches. Il s’agit soit des personnels très qualifiés, comme des ingénieurs, des médecins et des infirmières -qui se déqualifient souvent en travaillant par exemple dans la garde de personnes âgées, particulièrement en Italie. Ou bien ils sont employés dans la catégorie des métiers  » 3D  » (Dirty, dangerous, difficult) « , complète la chercheuse. Elle souligne par ailleurs un effet mécanique de visibilité de ces travailleurs parce que beaucoup d’entre eux travaillent à l’extérieur.

Le précédent polonais

Les craintes britanniques sont en partie causées par le précédent de 2004. Lorsque la Pologne (38,5 millions d’habitants) est entrée dans l’Union, européenne, cette année-là, le gouvernement travailliste de Tony Blair n’avait pas, contrairement à la plupart des autres pays européens, prévu de période de restriction pour les travailleurs d’Europe de l’Est (En pleine guerre d’Irak, Londres et Washington soutenaient chaudement l’élargissement de l’UE aux pays d’Europe de l’Est, partisans de la guerre, contre la « Vieille Europe », principalement Berlin et Paris, opposés à cette aventure militaire). Le gouvernement britannique avait sous-estimé l’afflux de travailleurs désireux de rejoindre la blanche Albion: Les autorités prévoyaient la venue de quelque 15.000 Polonais. Ce sont entre 900.000 et un million de personnes qui sont venues en dix ans.

Pourtant, un phénomène identique ne devrait toutefois pas se reproduire, selon Mark Harper, le ministre de l’immigration puisqu’aujourd’hui, tous les pays européens qui avaient mis en place des restrictions provisoires vis-à-vis des Bulgares et des Roumains les lèvent en même temps (dont les grands pays comme l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne et la France).
En Allemagne, les Polonais étaient également présents en nombre, mais de façon illégale, principalement dans les marchés ambulants, l’agriculture et le bâtiment.

« C’est de loin Berlin qui accueille le plus grand nombre d’étrangers (7 millions, plus les 2 millions d’ « Allemands ethniques » qui ont quitté l’Europe de l’Est au moment de la chute du mur de Berlin) », rappelle Catherine de Wenden. Mais c’est aussi le pays qui a le marché du travail le plus dynamique, ce qui explique une sensibilité moins forte qu’en Grande-Bretagne. « Les Polonais installés en Grande-Bretagne ou en Allemagne sont très mobiles. Ils font beaucoup d’allers-et-retours et sont très sensibles aux phénomènes de conjoncture », relativise d’ailleurs Catherine de Wenden.

Le contexte électoral

Ce climat anti-immigrés n’est pas sans agacer en Roumanie: « Vous ne pouvez pas profiter de l’installation de vos entreprises à Bucarest ou à Sofia pour bénéficier d’une main-d’oeuvre bon marché et en même temps refuser les travailleurs bulgares et roumains dans votre pays », s’est agacée la députée roumaine, Monica Macovei.

Depuis la naissance du marché unique, note la Frankfurter Allgemeine Zeitung, les travailleurs des pays membres les plus pauvres ont toujours tenté leur chance dans les pays membres plus riches. Jusqu’ici tout le monde y a trouvé son compte. Mais en temps de crise, les peurs liées aux conséquences négatives de l’immigration ont tendance à faire oublier ses effets positifs. « Surtout lorsque les effets de politiques ultralibérales ont contribué à détériorer les services publics, ajoute Catherine de Wenden. Le sentiment d’insécurité augmente et les craintes se reportent sur les étrangers », complète Catherine de Wenden. Et les échéances électorales de l’année en cours ou à venir, contribuent à envenimer le débat.

Par Catherine Gouëset

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