© REUTERS/Stringer

Après la mort de ben Laden, le jeu ambigu du Pakistan

Entre Washington et Islamabad, la confiance n’est pas de règle – et ne devrait pas sortir renforcée de la mort de ben Laden sur le sol pakistanais. Mais les Etats-Unis ne peuvent se permettre de rompre.

Allié des Etats-Unis, qui lui prodiguent une aide généreuse, le Premier ministre du Pakistan, Youssouf Raza Gilani, ne pouvait officiellement que se féliciter de cette « grande victoire ». Les autorités d’Islamabad ont cependant pris soin de préciser dans un communiqué que le raid d’Abbottabad avait été mené « directement » par les forces américaines, et cela « en vertu de leur politique annoncée selon laquelle Oussama ben Laden serait éliminé où qu’il se trouve dans le monde ».

La formule, passablement alambiquée, traduit l’embarras du Pakistan. Depuis plus de trois ans, le pays paie le soutien accordé à l’Amérique d’une vague d’attentats djihadistes. L’opinion, elle, demeure profondément antiaméricaine. Le pouvoir avait donc tout intérêt à ne pas paraître directement impliqué dans la mort du chef d’Al-Qaïda. En même temps, il lui était difficile d’admettre avoir été court-circuité par ses alliés… Or, si l’on en croit les propos tenus, sous couvert d’anonymat, par un responsable de l’administration Obama, Washington n’aurait rien dit aux Pakistanais des informations en sa possession depuis plusieurs mois sur le lieu de résidence d’Oussama ben Laden. Et ceci afin d’éviter une fuite de l’ISI, les puissants services secrets pakistanais, à la fiabilité douteuse.

Depuis qu’ils ont été sommés, en septembre 2001, de choisir leur camp et de déclarer la guerre aux djihadistes, les Pakistanais ont toujours gardé deux fers au feu, donnant des gages à leur allié américain lorsque cela s’avérait nécessaire pour maintenir leur alliance, tout en soutenant les talibans, et à travers eux l’ethnie pachtoune, afin de préserver leurs intérêts en Afghanistan. C’est peu de dire que les relations entre les deux pays sont empreintes de doute, même si Barack Obama a pris soin, le 1er mai, de rappeler l’importance de l’allié pakistanais!

En avril, lors d’une visite à Islamabad, le chef d’état-major américain, l’amiral Mike Mullen, avait mis les pieds dans le plat en accusant dans une interview télévisée l’ISI d’entretenir « des relations de longue haleine avec le réseau Haqqani », un groupe de talibans afghans proche d’Al-Qaïda. « Les Etats-Unis savent depuis longtemps que le Pakistan joue un double jeu, souligne Olivier Roy, chercheur au CNRS et spécialiste de la région. Mais ils savent aussi qu’ils n’ont pas les moyens de l’empêcher. Le Pakistan joue de sa faiblesse. Chaque fois que les Américains lui en demandent un peu trop, il agite l’épouvantail de sa propre implosion. »

Sur ce plan-là, rien ne devrait vraiment changer, même si le refuge du chef d’Al-Qaïda, une bâtisse ultraprotégée, à proximité d’une école militaire et aussi près de la capitale, est une preuve supplémentaire de cette duplicité. A Islamabad comme à Washington, le pragmatisme devrait, une fois de plus, l’emporter.

Restent les conséquences possibles sur le théâtre afghan. Le secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen, s’est empressé d’annoncer que la mission de l’organisation dans ce pays allait continuer. La mort de Ben Laden n’en pose pas moins, à nouveau, la question des objectifs de guerre. En septembre 2001, l’opération américaine, avalisée par l’ONU, visait à démanteler Al-Qaïda. Depuis, les objectifs ont évolué à plusieurs reprises, tout en restant ambigus. Pour Olivier Roy, la mort de Ben Laden pourrait avoir pour conséquence « d’affranchir les talibans du djihad international ». Ainsi « dédouanés », ceux-ci pourraient alors plus facilement jouer la carte du nationalisme. Et compliquer la tâche des gouvernements occidentaux confrontés à leurs opinions, de plus en plus sceptiques.

Dominique Lagarde, L’Express.fr

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