Philippe Maystadt

Après avoir voulu « protéger » la BCE, l’Allemagne se fait très critique…

Philippe Maystadt Ex-président de la BEI

L’histoire a parfois des retournements inattendus. Pendant la négociation du traité de Maastricht, les Allemands avaient fortement insisté pour garantir l’indépendance de la Banque centrale européenne. Ils voulaient même aller jusqu’à interdire à tout responsable gouvernemental de critiquer la politique de la BCE.

Aujourd’hui, les critiques pleuvent et les plus virulentes viennent du gouvernement allemand. Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances, a même déclaré qu’elle était responsable de 50 % des gains électoraux du parti d’extrême droite AfD.

Ces critiques sont étonnantes au regard de la longue tradition allemande de respect de la politique monétaire ; elles sont surtout injustifiées. Certes, on peut douter de l’efficacité des dernières mesures annoncées par la BCE. Le taux négatif qu’elle fait désormais payer pour les dépôts des banques ne va sans doute pas entraîner l’augmentation espérée des crédits à l’économie réelle si d’autres facteurs n’interviennent pas. Par ailleurs, cette politique touche les personnes âgées qui vivent des intérêts sur leurs économies et, selon certains, elle pourrait même réduire la demande globale. Mais si la Banque centrale européenne a été amenée à prendre de plus en plus de ces mesures non conventionnelles que les Allemands critiquent aujourd’hui, c’est parce que la politique monétaire a dû se substituer à la politique budgétaire. Plus les gouvernements, allemand en tête, continuent d’imposer une politique budgétaire restrictive, plus la Banque centrale est de facto amenée à prendre le relais pour tenter de relancer l’économie, sauf à se résigner à laisser la zone euro s’enfoncer dans la stagnation.

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En réalité, l’Allemagne souffre d’une obsession, incarnée par son ministre des Finances, celle du « schwarze Null », du déficit zéro, quelles qu’en soient les conséquences et même si cela va à l’encontre des théories économiques les mieux établies. A la fin du XIXe siècle, ce sont d’éminents professeurs allemands de finances publiques, Albert Schäffle et Adolph Wagner, qui ont développé la « règle d’or », selon laquelle les dépenses courantes doivent être financées sans recourir à l’emprunt. En revanche, les investissements productifs peuvent être financés par l’emprunt puisqu’ils augmentent le potentiel de croissance et produisent des revenus à l’avenir. Cette ligne de pensée classique est donc fondée sur la distinction entre dépenses courantes et dépenses de capital. Mais le fétichisme du « schwarze Null » fait disparaître cette distinction. Résultat : par rapport aux années 1990 et à prix constants, les dépenses de capital ont diminué de 15 %. Elles ne suffisent même plus à maintenir le stock ; de nombreuses infrastructures sont dans un état de délabrement ; des ponts s’écroulent ; des trains tombent en panne. Même Otmar Issing, ancien chief economist de la Bundesbank, reconnaît que l’investissement public en Allemagne est devenu « notoirement insuffisant ».

Certes, l’union économique et monétaire européenne est imparfaite. Mais prendre comme bouc émissaire l’institution qui tente de la remettre sur les rails n’a pas beaucoup de sens. Une bien meilleure stratégie serait que les gouvernements ayant une marge budgétaire l’utilisent pour relancer l’investissement public et diminuer la pression sur la BCE. Une telle marge est certainement disponible en Allemagne.

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