© Reuters

Angoissés mais fatalistes, les Burundais se résignent à une guerre qui semble inéluctable

Quand la terre a tremblé aux premières heures de vendredi au Burundi, beaucoup y ont vu le signe annonciateur d’un séisme politique. Avec une appréhension teintée de fatalisme, de nombreux Burundais semblent se résigner à une guerre civile qu’ils pressentent comme inéluctable.

« Le tremblement de terre nous annonce que le président va partir » du pouvoir, assure Jean, chauffeur de taxi de Bujumbura, au lendemain des secousses sismiques en République démocratique du Congo (RDC), qui ont réveillé en pleine nuit les habitants de la capitale.

Selon Jean, « il y avait déjà eu un tremblement de terre juste avant l’assassinat de Melchior Ndadaye », premier président démocratiquement élu du Burundi, tué en 1993 lors d’un coup d’Etat déclencheur de la longue et sanglante guerre civile (300.000 morts entre 1993-2006). L’événement a depuis fait jurisprudence au Burundi, assure le chauffeur: un séisme annonce une démission, un coup d’Etat, un assassinat ou la guerre.

Dans les rues du centre de Bujumbura, chacun vaque normalement à ses occupations, mais le spectre d’un nouveau conflit est dans toutes les têtes, où reste gravé le traumatisme du précédent.

« J’ai encore des souvenirs de la guerre civile », confie Diane, 23 ans, vendeuse dans une petite boutique de vêtements et de bijoux. « J’ai très peur que la guerre recommence parce que personne ne veut céder », poursuit-elle en référence aux antagonistes de la crise actuelle, émaillée de violences meurtrières.

Fin avril, l’annonce de la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat, qu’opposition, société civile et Eglise catholique jugent inconstitutionnel, a déclenché un vaste mouvement de contestation. En mai, le pouvoir a maté une tentative de coup d’Etat militaire et en juin est parvenu à étouffer par une brutale répression un mois et demi de manifestations quasi-quotidiennes dans la capitale.

Mais ses adversaires continuent de dénier toute légitimité à la victoire de M. Nkurunziza à la présidentielle contestée du 21 juillet. Et ces derniers jours, le petit pays d’Afrique des Grands Lacs a connu une escalade de la violence avec notamment l’assassinat de l’homme fort de l’appareil sécuritaire, le général Adolphe Nshimirimana, puis la tentative de meurtre – considérée comme des représailles – du renommé défenseur des droits de l’Homme Pierre-Claver Mbonimpa.

Parallèlement, les quartiers contestataires se sont armés, organisés, et se barricadent la nuit, tentant d’y interdire l’accès aux patrouilles des policiers. Autant d’ingrédients qui raniment, dans les mémoires burundaises, les souvenirs des prémices de la guerre civile de 1993.

« La guerre peut arriver, il y a vraiment beaucoup de tension, des dissensions au sein de la police et de l’armée », souligne Alain-Carmel, 20 ans, commerçant informel qui se décrit comme un « orphelin de la guerre civile ».

« On a tout fait pour que le Burundi vive en paix mais la guerre semble inévitable », explique Alain-Carmel coincé à Bujumbura: « Je n’ai pas les moyens de fuir. Fuir, ça demande de l’argent. Mais, si j’avais les moyens je partirais ».

Terrifiés par l’incertitude qui plane sur leur pays, de nombreux Burundais sont déjà partis. Plus de 180.000 se sont enregistrées depuis avril dans les camps de réfugiés des pays voisins, auxquels s’ajoutent tous ceux partis par leurs propres moyens au Rwanda, au Kenya, en Tanzanie ou en Europe.

Elvis, changeur de 29 ans, a mis sa famille en sécurité au Rwanda. « Moi, je dois rester pour gagner de l’argent et leur envoyer » mais « si la situation continue à se dégrader comme ça, il y aura la guerre et il me faudra fuir » aussi, explique-t-il.

« Le dialogue est la seule solution pour éviter la guerre. La guerre détruit beaucoup de choses. J’ai perdu ma mère, ma tante, de nombreux membres de ma famille durant la guerre civile, je ne veux pas revoir ça ».

La bonne volonté – pour l’heure loin d’être acquise – des deux camps semble le dernier espoir des Burundais, pour qui le temps presse. Nombre d’entre eux voient approcher avec angoisse le 26 août, date d’expiration du mandat écoulé de M. Nkurunziza.

« Le feu pourrait prendre après le 26 août car à cette date nous n’aurons plus de président puisque ce troisième mandat est jugé illégal », résume Jean. « On peut encore éviter la guerre si pouvoir et opposition parvienne à négocier. Mais sinon il y aura la guerre », prévient-il.

Contenu partenaire