© Reuters

Angela Merkel, la « marchande de canons »

L’Allemagne ne pouvant envoyer des soldats sur tous les fronts, la Chancelière a annoncé son intention d’utiliser plus souvent les livraisons d’armes à des fins diplomatiques, pour soutenir  » ses partenaires dignes de confiance « . L’Arabie saoudite négocie ainsi l’achat de centaines de chars de combat et de véhicules blindés allemands.

Le redéploiement d’une Allemagne  » décomplexée  » sur le plan militaire et diplomatique se poursuit. Après avoir participé, pour la première fois depuis 1945, à une guerre offensive contre la Serbie en 1999, puis s’être engagé avec un contingent de près de 5000 hommes en Afghanistan à partir de 2001, Berlin semble avoir jeté aux orties ses réticences en ce qui concerne les ventes d’armes à destination de pays non-membres de l’OTAN. Dans sa dernière édition, le magazine Der Spiegel révèle ainsi que l’Arabie saoudite, qui est déjà sur les rangs pour acheter 270 chars de combat Leopard 2, a déposé une nouvelle demande auprès du Conseil fédéral de sécurité allemand afin d’importer plusieurs centaines de blindés de type GTK Boxer, un transport de troupes monté sur pneus et équipé au choix d’un lance-grenade ou d’une mitrailleuse lourde, idéal en rase campagne… comme pour la répression de manifestations.

Cette révélation, non commentée par le gouvernement allemand puisque les réunions et les décisions du Conseil de sécurité sont soumises au secret le plus total, a déclenché de violentes réactions de la part des partis écologistes et de gauche, mais pas seulement. L’ancien ministre des Affaires étrangères d’Helmut Kohl Hans-Dietrich Genscher a également protesté: « Avec le recul, on constate que la retenue allemande dans sa politique d’exportations d’armes s’est révélée exacte et l’on devrait s’y tenir », a déclaré cette figure emblématique et respectée du parti libéral.

Merkel assume sa diplomatie des ventes d’armes

Le « deal » saoudien n’est pourtant pas isolé. Ces derniers temps, l’Allemagne a vendu deux corvettes porte-hélicoptères à l’Algérie qui se prépare à passer une commande de 1200 véhicules blindés, mais aussi 130 Léopards 2 d’occasion à l’Indonésie, deux sous-marins à l’Egypte et quelques milliers de fusils d’assaut livrés aux quatre coins de la planète. Entre autres. De même, alors que Berlin proteste fermement contre la relance de la politique de colonisation des territoires occupés par Israël, Der Spiegel nous apprend aussi que le Conseil de sécurité a donné son feu vert pour la vente de lance-roquettes à l’armée israélienne. Le leader écologiste Jürgen Trittin est catégorique : « On ne peut pas vendre des armes dans ces pays! ».

La Chancelière n’est pas de cet avis. Lors d’un discours prononcé fin octobre au congrès annuel de l’armée allemande, Mme Merkel a expliqué qu’à l’avenir, son pays comptait intégrer plus fortement les exportations d’armements dans sa doctrine de sécurité : « Il est dans notre intérêt d’aider nos partenaires à établir ou à maintenir de manière efficace la sécurité et la paix dans leurs régions », a-t-elle expliqué. Pour elle, les livraisons d’armes font clairement partie de cette aide: « Ceux qui se sentent responsables du maintien de la paix, mais ne peuvent pas jouer un rôle actif dans toutes les régions du monde, sont appelés à aider leurs partenaires dignes de confiance à prendre cette tâche à leur compte », a ajouté la chancelière. Et d’après Angela Merkel, ces partenaires dignes de confiance sont nombreux. Il s’agit des pays de la Ligue arabe, et ceux de l’Union africaine et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Pas moins !

Face à cette perspective, les « marchands de canons » allemands, confrontés à un fort rétrécissement des budgets européens de défense, peuvent se frotter les mains. Pour Mme Merkel, l’exercice est cependant périlleux à l’aube de l’année électorale qui s’annonce : « Angela Merkel sait que la grande majorité des Allemands est hostile aux exportations d’armes », rappelle le député de gauche Jan van Aaken (Die Linke) : « Il semble donc qu’elle justifie ses décisions par anticipation, comme pour construire une sorte de mur pare-feu avant la campagne », explique-t-il.

Thomas Schnee à Berlin pour L’Expansion

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire